Retrouvez l’édito de Mgr Le Vert pour le mois de mars 2024.
Au milieu du carême, l’Église nous offre le « dimanche de la joie ». Il est appelé ainsi parce que l’antienne d’ouverture de la messe commence par ces mots du prophète Isaïe : « Réjouissez-vous » (Is 66, 10). Ce dimanche particulier est une pédagogie : une fenêtre est ouverte pour nous laisser entrevoir la joie de la Résurrection, un peu comme pour nous redonner courage dans notre marche vers Pâques.
Mais en même temps, c’est une invitation forte : nous réjouir ! Et cela tranche avec l’image d’austérité que nous pourrions avoir du carême. Nous connaissons les expressions de notre langue française : « mine de carême, face de carême », qui évoquent plutôt la tristesse et la déprime. Bref, pour beaucoup de chrétiens, le carême, « c’est pas la joie » ! Et pourtant, le carême n’est pas un temps de tristesse. C’est au contraire un temps d’espérance et de joie, qui vient du Salut opéré par le Christ. Le carême, en nous proposant de nous recentrer sur l’essentiel, devrait faire jaillir en nous un sentiment de gratitude. La « face de carême » n’est certainement pas le reflet de ce que vivent les chrétiens. Dans l’un de ses messages pour le carême, saint Jean Paul II invitait à « ne pas à prendre des mines sombres et abattues, mais plutôt à s’émerveiller pour la grandeur du don reçu : la Vie ».
Alors, la joie, parlons-en ! La joie est un don de Dieu fait aux hommes. Jésus l’affirme : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 11). Il ne nous promet pas du bonheur à la petite semaine ! Il veut pour nous une joie parfaite ! Dieu n’a pas créé le monde par ennui, par solitude ou pour manifester sa puissance. Ce qu’il veut, c’est donner en partage la plénitude de sa vie divine à chacun. Et pour cela, son Fils se donne totalement. Le moteur de la joie, c’est la vie donnée par Dieu. C’est l’espérance que, dans l’annonce joyeuse de la Résurrection, la peine même de l’homme se trouve transfigurée, car la plénitude de la joie surgit de la victoire du Crucifié, de son cœur transpercé, de son corps glorifié. Et de là émane une lumière pour tout homme de bonne volonté. La joie de Dieu, c’est la joie d’aimer.
Car il nous faut bien comprendre une chose : ce n’est pas la souffrance du Christ en elle-même qui nous sauve ; c’est son amour, un amour qui est passé par la souffrance pour rejoindre chacune de nos souffrances et les transfigurer, un amour qui triomphe de la mort ! C’est la dimension pascale de la joie. Désormais Jésus est toujours vivant dans la Gloire du Père, et c’est pourquoi les disciples furent établis dans une joie indéracinable en voyant le Seigneur le jour de Pâques : joie pascale, joie de la résurrection qui n’élimine ni la souffrance, ni l’épreuve, mais qui leur fait prendre un sens nouveau, avec la certitude de pouvoir participer au Salut opéré par le Seigneur et de pouvoir partager un jour sa Gloire dans l’éternité.
La joie chrétienne ne se trouve pas dans ses caricatures. Notre monde actuel a du mal à produire la joie. On la recherche partout, en la provoquant par tant de manières artificielles. Mais ensuite, le poids de la tristesse, de l’angoisse, de la détresse se fait toujours sentir. D’autant plus que l’ambiance générale de notre société ne nous pousse pas à la joie, et que les informations qui nous sont sans cesse présentées sont plutôt faites pour nous angoisser. La vraie joie vient de Dieu, qui nous sauve vraiment du mal et de la mort. Il ne vient pas simplement changer les structures extérieures de notre monde et améliorer nos conditions de vie ; il vient changer la vie, en profondeur, en se faisant l’un de nous.
La joie chrétienne est alors un signe pour le monde, et son enjeu est considérable. Elle est le signe que Dieu vit au milieu de notre monde et s’en préoccupe. Le pape François nous le rappelle souvent : « Le Seigneur notre Dieu est au milieu de nous, il est un sauveur puissant (cf. So 3, 16-17). Cela c’est le secret du christianisme : Dieu est au milieu de nous comme un sauveur puissant. Cette certitude nous permet, comme pour Marie, de chanter et d’exulter de joie… « Être chrétien est joie dans l’Esprit Saint » (Gaudete et exsultate, n° 122). Sans joie nous restons paralysés, esclaves de nos tristesses. Souvent, le problème de la foi n’est pas tant le manque de moyens et de structures, de quantité, ni même la présence de celui qui ne nous accepte pas ; le problème de la foi est le manque de joie. La foi vacille quand on navigue dans la tristesse et dans le découragement. Quand nous vivons dans le manque de confiance, enfermés sur nous-mêmes, nous contredisons la foi, car au lieu de nous sentir enfants pour lesquels Dieu fait de grandes choses, nous réduisons tout à la mesure de nos problèmes et nous oublions que nous ne sommes pas orphelins : nous avons un Père au milieu de nous, sauveur et puissant… Voilà le secret de la joie. » (Voyage apostolique en Roumanie, Homélie à la cathédrale saint Joseph de Bucarest, 31 mai 2019).
Signe pour le monde, la joie chrétienne se partage. C’est très important, car on la reconnait non seulement à ce que les croyants en vivent, mais aussi au fait qu’ils la transmettent. Cela touche la mission du chrétien. La joie vaste et profonde, répandue ici-bas dans le cœur des fidèles, est diffusive d’elle-même : elle est un heureux symptôme de la foi. En aucune manière, celui qui la goûte ne peut se replier sur soi et en vivre égoïstement. Elle est tout le contraire : elle est un déploiement. Les nombreux catéchumènes qui vont être baptisés à Pâques nous en donnent une preuve flagrante. Ceux qui les côtoient voient la joie dont ils rayonnent.
Depuis deux mille ans, le message de la joie a été confié aux disciples de Jésus. Aujourd’hui, c’est à nous de le proclamer. Nous qui avons la grâce de reconnaître le Christ sauveur dans le Crucifié, nous sommes appelés à transmettre la joie de l’Évangile. Oui, notre force, notre paix et notre joie, c’est bien la personne de Jésus, notre Seigneur et notre Frère !
+ Jean-Marie Le Vert
Évêque auxiliaire de Bordeaux