À l’occasion de la Semaine Sainte qui a eu lieu du dimanche 24 au samedi 30 mars 2024, le père Jean-Laurent Martin, responsable diocésain de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle propose un éclairage sur le sens de cette semaine.
Chaque année, dans les derniers jours du Carême, l’Église nous invite à méditer et vivre aux pas des derniers jours de la vie terrestre de Jésus. C’est la Semaine Sainte. Si notre regard est tourné vers l’apothéose du jour de Pâques et sa cinquantaine de joie, n’oublions pas que les derniers jours de Jésus furent des moments pleins de douleurs jusqu’au dernier cri du Christ sur la croix : « Tout est accompli ! » S’il ne s’agit pas de chercher revivre ces jours de manière doloriste et volontariste de la manière dont le Christ les a vécus, nous sommes invités, particulièrement pendant le Triduum pascal (allant de la célébration du Jeudi Saint au soir jusqu’à l’envoi plein de joie de la Vigile pascale) à entrer dans cette unique célébration tournés vers le Christ, afin de nous décentrer de nous-mêmes pour le contempler, Lui.
Pour cela, l’Église nous offre les richesses de sa liturgie. Procession des Rameaux et messe de la Passion, messe du Jeudi Saint, Chemin de Croix et office du Vendredi Saint, vigile pascale et messe de la Résurrection : autant d’occasions d’entrer chaque année et d’actualiser ce mystérieux désir d’Amour du Christ pour nous, son peuple. Dans sa lettre apostolique « Desiderio desideravi » (« J’ai désiré d’un grand désir » en français) parue le 29 juin 2022, le pape François, en rappelant combien « la foi chrétienne est une rencontre vivante avec le Christ ou elle ne l’est pas » invite chaque fidèle à renouveler en lui cet émerveillement du Mystère Pascal « face au fait que le plan salvifique de Dieu nous a été révélé dans la Pâque de Jésus » (n°25). Tout cela se veut l’écho de ce que nous redit le Catéchisme de l’Église catholique (§1104) quand il est précisé combien « la liturgie chrétienne non seulement rappelle les événements qui nous ont sauvés, mais les actualise, les rend présents. Le Mystère pascal du Christ est célébré, il n’est pas répété ce sont les célébrations qui se répètent en chacune d’elle survient l’effusion de l’Esprit Saint qui actualise l’unique mystère« .
Dimanche des Rameaux
C’est comme un portique d’entrée dans la Semaine sainte. Dans son « Journal de voyage » rédigé en 383 ap. J.-C., la pèlerine Égérie décrivait les processions qui avaient lieu en ce jour à Jérusalem sur le Mont des Oliviers. Depuis, ce jour-là, chaque chrétien vit, rameaux à la main, deux processions : celle, avec nos pieds, depuis les parvis jusqu’au cœur de nos églises, commémorant le trajet de l’entrée solennelle de Jésus dans la ville sainte, mais aussi, avec nos cœurs, la douloureuse procession du Christ jusqu’au Golgotha que le long évangile de la Passion nous permet d’entendre pour la première fois de la semaine.
Lundi, mardi, mercredi Saint
Chacun de ces premiers jours nous font entrer, un peu plus au cours des messes, dans les dernières heures de la vie terrestre de Jésus. Dans notre diocèse, le Lundi Saint est également le jour de la Messe Chrismale (du grec “ khrisma “ signifiant “onction d’huile”). Célébrée traditionnellement le Jeudi Saint au matin, cette messe peut également avoir lieu les jours qui précèdent. Le lundi saint, la liturgie nous fait entendre ce moment où Jésus rend visite à ses amis de Béthanie et Marie le parfume d’huile précieuse, comme pour le préparer à son ensevelissement. C’est pourquoi, l’évêque réunit autour de lui les prêtres du diocèse et consacre les huiles saintes qui seront utilisées pour les sacrements durant l’année à venir. Chaque paroisse reçoit alors sa provision annuelle d’huiles du Saint-Chrême (pour les baptêmes, confirmations et ordinations), des catéchumènes et des malades, comme « un plein de carburant liturgique’ »
Jeudi Saint
Ce jour-là, par le don de l’Eucharistie et le lavement des pieds de Jésus à ses disciples, les chrétiens sont invités à prendre acte du commandement de l’amour : »Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés« (Jn 13, 34). C’est la fête de l’eucharistie (et donc des prêtres) mais aussi de la diaconie (diacres) quand le Christ, s’abaissant devant ses apôtres en leur lavant les pieds, invite chacun de ses disciples à aimer avec humilité. À la fin de la Messe, après que le Saint-Sacrement ait été porté en procession jusqu’à un lieu appelé le reposoir (fleuri pour rappeler le jardin de Gethsémani), il est coutume d’ôter nappes et ornements de l’église ainsi que de voiler croix et statues pour centrer tous nos regards vers la Passion de Jésus. C’est également à partir de là que les cloches se taisent jusqu’à Pâques.
Vendredi Saint
« Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32). Jour de pénitence et de deuil, ce jour est l’Heure où l’Église contemple la Gloire du Fils de l’homme, exalté en croix. Passion et compassion sont liées. Nous levons les yeux vers celui qui a été crucifié en lui présentant tous ceux qui sont éprouvés dans leur corps (malades, soignants…), leurs âmes et leurs esprits (personnes isolées, prisonniers, migrants, gens de la rue, etc.). Le Vendredi Saint est un jour de jeûne et d’abstinence.
Samedi Saint
C’est un jour d’attente. La très belle homélie de saint Épiphane de Salamine (IVe siècle) nous rappelle que Jésus est descendu parmi les morts pour ramener vers le Ciel les âmes justes mortes avant son sacrifice. Pour autant, tout affairé aux préparatifs du soir, c’est malheureusement souvent le grand oublié du Triduum, puisque ce jour ne comporte pas d’office particulier ni même d’eucharistie. Nous-mêmes, nous sommes invités à faire silence en nous en coupant notre téléphone ou en éteignant télé et radio afin de demeurer au mieux, si possible, dans ce climat d’intériorité.
Le soir, nous entrons dans la grande « nuit de veille en l’honneur du Seigneur » (Ex 12), en attente du Ressuscité (époux). L’action salutaire du Christ, mort et ressuscité, s’exerce par les deux sacrements de cette nuit : le baptême qui introduit le catéchumène dans le mystère de mort et de résurrection du Seigneur (Rm 6, 3-8) et l’eucharistie, mémorial de cette mort et résurrection de la fête.
Au soir du samedi saint, au cœur de la nuit jaillit une flamme à laquelle viennent s’alimenter toutes les autres. Une seule source de lumière vient dissiper les ténèbres ! L’église n’est pas gagnée par l’obscurité mais une lampe se prépare à entrer dans l’assemblée pour l’illuminer de sa clarté. Ce phénomène naturel provoque un sillage étincelant qui, mieux que tout autre, peut exprimer le grand événement de la résurrection, le passage de l’immunité de la mort à la vie, devenant un des signes les plus manifestes de cette nuit pascale : l’Église illuminée. Dans la flamme du cierge pascal éclate la lumière du ressuscité à laquelle chaque homme vient s’éclairer. Puis après l’avoir signifiée dans le rite du cierge, l’Église demande aux Ecritures de lui faire contempler, à travers l’histoire d’Israël, la marche de la lumière salvifique, depuis la création jusqu’à la recréation en Christ. Nous passons ainsi de la Via crucis à la Via lucis. La bénédiction des fonts (ou la célébration des baptêmes) rappelle à chaque chrétien le « caractère » de son baptême et les grâces qui en découlent. On retrouve avec bonheur l’Alléluia et le Gloria. Les cloches des églises se remettent enfin à sonner pour le plaisir de tous (sauf peut-être déjà des dormeurs…). Enfin, la célébration de l’eucharistie vient couronner cette présence réelle du Ressuscité, lui qui précède chaque fidèle en Galilée.
Le saint jour de Pâques, fête des fêtes
Le canon pascal de saint Jean Damascène (VIIIe siècle) le dit : « C’est le jour de la Résurrection ! En cette fête, rayonnons de joie, embrassons-nous ! Appelons frères même ceux qui nous haïssent. Pardonnons tout à cause de la résurrection du Christ et chantons d’une seule voix : « Le Christ est ressuscité des morts, par sa mort, il a vaincu la mort ; à ceux qui sont dans les tombeaux, il a donné la Vie ». » Voici le jour de la résurrection et des apparitions : un jour que fit le Seigneur, jour d’allégresse et de joie (psaume). C’est la fête de tous les baptisés, appelés à passer du désert aux eaux vives du salut (avec le geste de l’aspersion). L’Église s’associe à la joie de Marie (Regina Coeli) mais aussi de tous les vivants avec la bénédiction des agneaux et des œufs. Ce jour inaugure ainsi la grande cinquantaine d’allégresse, prémices de la joie sans fin.