Retrouvez l’édito de Mgr Le Vert pour le mois de mai 2024.
Il y a à peine un mois, nous fêtions la Résurrection du Christ, la victoire de la Vie sur la mort. Et le cri qui monte spontanément de mon cœur, c’est « Magnificat » !
Magnificat devant le nombre de baptêmes d’adultes et d’adolescents dans la nuit de Pâques, dans notre diocèse et dans toute la France ! Plus de 12 000 ! Ce nombre a doublé en deux ans ! Et nous sommes étonnés par l’âge moyen de ces adultes : il y a un vrai rajeunissement ! Là encore, ce phénomène n’est pas propre à la Gironde, mais se constate dans tout notre pays, et aussi en Espagne, en Belgique…
Magnificat pour l’action du Seigneur dans les cœurs, les conversions visibles et invisibles !
Magnificat pour la disponibilité et la générosité des accompagnateurs de ces néophytes !
Magnificat pour l’accueil, la prière et le travail des communautés paroissiales.
Magnificat pour les familles de ces convertis qui ont accepté leur cheminement et leur changement de vie !
Magnificat pour la joie et l’émotion qui se lisaient sur les visages !
Magnificat pour les néophytes, marqués à vie par la beauté des célébrations, et surtout pas l’action de l’Esprit Saint.
Magnificat pour les 1500 personnes qui ont participé au beau pèlerinage diocésain à Lourdes.
Et Magnificat pour tous ceux qui vont bientôt être confirmés. Car nous allons revivre la même chose à la Pentecôte. Là encore, ce seront près de 300 adultes, et des centaines d’adolescents et de jeunes qui seront confirmés cette année ! Comme pour les demandes de baptême, nous sommes tous étonnés des chemins que le Seigneur a emprunté pour venir les chercher. Notre archevêque demande à chaque nouveau confirmé d’inviter un chrétien non confirmé à recevoir ce sacrement. Pour cela il propose d’offrir un carton d’invitation. Nous en sommes témoins, cette démarche porte du fruit ! Certains ont été interpellés par leurs enfants, d’autres par un camarade de classe au moyen de cette carte. Beaucoup témoignent aussi du rôle d’une grand-mère, d’un ami chrétien, de cousins, de prêtres ou religieuses, qui ont été pour eux de vrais témoins du Christ et leur ont donné le désir de mieux le connaître. Ils sont nombreux aussi ceux qui demandent le baptême ou la confirmation parce qu’ils recherchent des repères et un sens à leur existence dans un monde où ils ne les trouvent pas. Ils veulent vivre !
Nous sommes ici témoins de l’action et de l’initiative de Dieu, qui nous dépassent. Elles remettent en question notre néo-pélagianisme (NDLR : le pélagianisme est une doctrine qui, professée au IV° siècle par Pélage et ses partisans, accentue au détriment de la grâce divine la puissance du libre arbitre de l’Homme. Dictionnaire de la Théologie chrétienne), si souvent dénoncé par le pape François, cette attitude où nous pensons et voulons pouvoir faire le bien par nos propres forces, où nous croyons que l’avenir et le salut dépendent principalement de nous, que nous pouvons y arriver tous seuls, où nous ne sollicitons la grâce de Dieu qu’en dernier ressort, une fois que nous avons constaté que nous n’y arrivons pas ! Oui, nous voyons que ce Dieu veut pour nous, c’est la Vie ! Et il nous surprend !
Cette vie créée par Dieu et abîmée par l’Homme, Jésus l’a sauvée au prix fort. Pourtant, l’Homme continue à détruire l’œuvre de Dieu. Nous le voyons dans la violence de notre monde, dans les conflits terribles qui suppriment des milliers de vies. Mais aussi dans des idéologies du siècle passé qui ont mené des millions d’innocents à la mort. Et dans d’autres sources de violence, comme la loi sur l’avortement, et peut-être bientôt l’euthanasie légalisée sous le vocable détourné et mensonger « d’aide à mourir » …
C’est un piège de penser qu’on peut disposer de la vie jusqu’à en légitimer l’interruption, quitte à la maquiller par un voile de pitié humaine. La liberté de tuer n’est pas une vraie liberté, mais une tyrannie ! Et alors que nous venons de fêter l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort, on réclame le droit de tuer « sous certaines conditions » … Quel paradoxe ! Car l’euthanasie, même légalisée, restera toujours un meurtre pour la conscience chrétienne. Et l’Église continuera de dire que la vie est œuvre de Dieu, qu’elle est un don sacré, de son commencement jusqu’à son terme naturel. Tout être humain a le droit au respect intégral de ce bien primordial. L’Église continuera à faire appel à la conscience des médecins et des agents hospitaliers pour refuser de collaborer à cette législation, malgré les fortes pressions qu’ils auront à endurer, car ils savent bien que donner la mort n’est pas un soin.
Comme les évêques de France l’ont plusieurs fois déclaré ces derniers mois, ce qui serait humain, serait de développer les soins palliatifs pour accompagner toute personne souffrante du fait de la maladie, du handicap ou du grand âge. Et le Comité national d’éthique a bien dit la nécessité de développer ce dispositif pour le rendre accessible à tous sur l’ensemble du territoire avant d’envisager une évolution de la législation.
La dimension fraternelle de ces soins permet à tous, souffrants et aidants, de vivre le mieux possible le temps qui leur est donné. Ce temps est l’occasion de relations entre la personne souffrante, ses proches et les soignants, par des manifestations d’affection, des paroles échangées, du dialogue, des gestes d’amour et de tendresse. Or, « la relation est au cœur de la fraternité. La fraternité tisse des relations de vie, aussi éphémère soit-elle. La promesse républicaine de fraternité est supérieure à la promesse républicaine d’égalité. Car la fraternité engage à la relation, y compris et en premier avec les personnes vulnérables. La relation est l’essentiel de la société humaine » (Mgr Pierre d’Ornellas, Audition de la CEF par la Commission spéciale sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, 24 avril 2024). Chrétiens, nous sommes appelés à vivre en frères, en nous conformant à l’attitude que le Christ a pu avoir avec les personnes qu’il rencontrait. Lui, le Fils de l’Homme, n’a jamais souhaité la mort de quiconque et ne l’a jamais donnée.
Non, tout n’est pas permis, et l’existence est trop précieuse pour que nous puissions en disposer à notre guise ! C’est ce que nous rappelle la dernière déclaration romaine de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, Dignitas infinitas, La dignité infinie de l’Homme. Depuis des décennies, des lois mortifères ont été votées, avec la promesse qu’elles permettraient une société meilleure. L’est-elle vraiment aujourd’hui ? Des hommes politiques de tous bords disent à mi-voix que la déstructuration de notre société vient de la déstructuration de la famille. L’Église, experte en humanité, le répète depuis 50 ans…
Chacun, là où il se trouve, peut et doit dire et agir. Ce débat sur la fin de vie devrait être une occasion importante pour prier et réfléchir sur la famille, berceau de la vie, milieu naturel pour la naissance et l’éducation des enfants, et par conséquent indispensable pour assurer l’avenir de l’humanité entière. Face aux multiples défis aujourd’hui, il faut la défendre, l’aider et la valoriser dans son caractère unique et irremplaçable. Il faut se demander quel monde voulons-nous léguer à nos enfants. Nous craignons de leur laisser un monde écologiquement pollué ? Mais ne devrions-nous pas craindre encore plus de leur léguer un monde moralement et humainement invivable ? La véritable écologie commence par l’écologie humaine, comme le répète le pape François dans son encyclique Laudato si‘. L’être humain mérite d’être protégé au moins autant que certains animaux dont l’espèce est en péril !
Alors faut-il désespérer ? Que doit faire encore le Dieu de la vie pour nous sauver de nous-mêmes ? Peut-il faire plus que se donner lui-même en nous donnant son Fils ? Est-il absent, ou indifférent au suicide de notre monde ? Bien sûr que non ! Et c’est pour cela que l’exemple des catéchumènes, des néophytes et des confirmants est tellement précieux. Ils sont signes d’espérance. Ils nous redisent silencieusement que Dieu ne se laisse jamais vaincre par le mal, même si les voies qu’il emprunte sont surprenantes, et surtout ne sont pas les nôtres.
La fête de la Pentecôte qui approche, cette « journée mondiale » de l’Esprit Saint, doit être pour nous une fête d’espérance. Il vient nous combler de la force de l’Esprit pour que nous soyons dans notre monde des témoins lumineux d’espérance, des hommes et des femmes courageux, habités par l’audace qui vient de la lumière du Ressuscité. Il vient nous renouveler dans notre joie de croire. Que cette Pentecôte soit pour chacun de nous un nouvel envoi pour annoncer l’Évangile de la vie ! Allons puiser à la source de l’Espérance.
Jean-Marie Le Vert
Évêque auxiliaire de Bordeaux