Rencontre avec Éléonore d'Avezac, conseillère conjugale et familiale
La relation c’est un peu comme entretenir un jardin, il a besoin de soins réguliers et constants : mettre de l’engrais, arracher les mauvaises herbes, tailler, fleurir...sinon il dépérit.
Pouvez-vous vous présenter ?Je suis issue d’une famille de 4 enfants. J'ai vécu une enfance principalement en région parisienne. Je suis mariée depuis 23 ans et mère de quatre enfants dont une déjà au ciel. Jeunes mariés, nous avons vécu à Madrid durant 5 ans, pour la situation professionnelle de mon mari. De mon côté, après quelques expériences professionnelles, je suis rentrée chez L’Oréal dans un département marketing. Au-delà de l’intérêt professionnel et humain que j’ai eu à travailler dans une équipe internationale, j’ai été frappée de voir l’implication extrême de certains quitte à renoncer à tout équilibre de vie et prêts à mettre en danger leur santé (les burn-outs étaient fréquents). Après ces 5 années, nous avons décidé de nous installer à Bordeaux, ville d’enfance de mon mari. En 2014 j’ai découvert la formation AMC Ressources, tournée autour de la communication interpersonnelle, d’abord pour moi-même, puis passionnée j’ai rejoint le rang des formatrices. Cette belle expérience humaine qui a duré 6 ans m’a donné le goût d’accompagner, de transmettre.
J’ai donc ensuite décidé de me former en parallèle durant 3 ans au Conseil Conjugal et Familial à Couples et Familles. La première année est consacrée au diplôme de l’Éducation à la Vie qui permet d’intervenir dans les collèges et lycées sur le thème de l’EARS, c’est-à-dire l’Éducation affective, relationnelle et sexuelle. Les deux dernières complètent la formation au Conseil Conjugal. En sortant de mes études, je faisais le constat que peu d’organisations dédiées à ces animations existaient à Bordeaux, j’ai donc créé avec 2 collègues l’antenne Couples et Familles en Gironde en 2017 dont je suis la présidente. Depuis et face à la demande croissante des établissements sur la région et aux enjeux de société, nous formons aujourd’hui une équipe 10 intervenantes.
Vous avez un parcours riche de diverses expériences, notamment une formation de trois ans chez AMC Ressources. Qu’est-ce qui vous a amené à devenir conseillère conjugale pour la maison Familya ?
Ce parcours AMC ressources m’a en effet beaucoup attiré, car je ressentais le besoin de mieux me connaitre et comprendre les leviers sur lesquels nous pouvions nous appuyer pour gérer nos relations, en famille, en couple, au travail : comment mieux s’affirmer ? Comment trouver sa juste place ? Comment mieux comprendre l’autre ? J’y ai découvert des outils issus de la Communication Non Violente, de l’éducation, de l’Analyse transactionnelle … qui m’ont apporté des éléments de compréhension des relations et comportements humains qui me laissaient parfois démunis. Puis ce parcours sur environ 6 mois m’invitait à expérimenter, à appliquer dans mon environnement, dans mes propres situations avec mes enfants, dans mon travail et avec mon conjoint et cela produisait des effets concrets. Ainsi, est née l’envie de transmettre à d’autres les apports que je jugeais essentiels, AMC recherchait justement une nouvelle formatrice sur Bordeaux, poste que j’ai accepté,. J’avais l’impression d’avoir découvert des notions qui pouvaient vraiment améliorer les relations dans la vie des gens. Durand 6 ans j’ai donc animé divers parcours pour des groupes à Bordeaux.
Il est arrivé aussi à une période de ma vie qui faisait suite au deuil de notre 3ème enfant, décédée accidentellement à l’âge de 2 ans. Un accompagnement pour notre couple nous a fortement été conseillé et nous a permis de traverser les remous du deuil ensemble. Par ailleurs sur le plan spirituel, nous avons également trouvé un solide soutien dans le mouvement des Équipes Notre-Dame depuis 2008, mouvement qui met le couple au centre de nos vies. Des réunions mensuelles à 2 avec 4 autres couples nous permettent d’approfondir des thèmes choisis et nous invite aussi à partager les évènements marquants de notre mois. Puis j’ai réalisé que cet accompagnement de couple qui nous a permis de mieux nous comprendre pour mieux nous rejoindre avec mon mari, avait joué un rôle essentiel dans la qualité notre relation de couple. En effet 1 couple sur deux divorces en cas de décès d’un enfant. Alors partie de ce constat et des compétences que j’avais développées précédemment, l’envie est née de me tourner vers l’accompagnement et donc vers ce métier de CCF pour permettre d’aider de manière plus personnalisée les personnes et les couples.
J'ai connu Famlya par Laure Camuset, intervenante également et aujourd’hui responsable avec son mari Guillaume de la maison Familya. Ce projet m’a touché car il rejoint ma conviction qu’il faut démocratiser le conseil conjugal pour toucher un plus grand nombre. Trop de couples continuent de souffrir car il est encore tabou de se faire aider sur ce plan-là, et l’on pense que cela va s’arranger tout seul. Un sondage relevait qu’il se passe en moyenne 7 ans entre l’envie de voir un spécialiste et la prise de rendez-vous. L’association propose des consultations qui s’adaptent également à toutes les bourses, car ce ne doit pas être un frein à l’amélioration d’un climat familial.
Familya c’est aussi travailler avec une équipe, une équipe pluridisciplinaire qui propose d’autres consultations, médiation familiale, écoute, psychologues … et des ateliers autour de la parentalité, l’estime de soi, la communication, la Vie affective et sexuelle … j’ai beaucoup aimé ce concept qui permet d’aborder les relations ou difficultés relationnelles avec différentes approches.
Avant de vous reconvertir, vous travailliez dans le domaine de la communication. En quoi cela vous aide-t-il au quotidien dans l’accompagnement des couples ?
Il y a d’un côté mon expérience dans la communication au service de l’entreprise et de l’autre la communication interpersonnelle enseignée dans le parcours AMC, mais en tout cas il en ressort des points communs. Ainsi en conseil conjugal il s’agit d’abord d’écouter pour accueillir la personne et son vécu avec grand respect et bienveillance et sans interprétation. Ensuite si on se sent compris et rejoint, identifier et reconnaître les besoins parfois flous définissent un cap pour avancer. Débusquer les attentes déçues, les frustrations, les non-dits, permet de trouver les points de blocage et travailler à les déverrouiller. L’idée étant que l’attitude d’écoute, de compréhension…couplée avec des apports théoriques et des outils favorise de nouvelles façons d’être en lien, de « relationner ». Tout ce travail se fait en collaboration à trois. Il s’agit de tenir conseil plutôt que donner des conseils, nous tirons des fils et nous menons ce travail d’enquête.
Quant à la Communication au sens général, elle apprend à adapter notre message en fonction de notre objectif. A quoi servirait de transmettre un message s’il n’est pas audible ? Un message inefficace met toute personne en situation de défense. Un ton trop insistant ou critique risque de voir passer son message à côté de la cible. Et comment une communication plus ajustée peut apaiser les conflits ? Comment être en désaccord, ou s’affirmer sans blesser ?
Le projet de la Maison Familya se retrouve dans les valeurs humanistes prônées par l’Église. Comment parvenez-vous à introduire une dimension spirituelle dans votre pratique ?
Dans ma famille, la place des valeurs chrétiennes étaient primordiales. Par exemple mes arrières grands-parents ont habité 6 mois de l’année à Lourdes, pendant près de 20 ans de leur vie pour s’occuper de l’hospitalité internationale, monter le pèlerinage de l’Ordre de Malte. Ils m’ont enseigné la valeur de l’engagement et qu’il était important de prendre soin les uns des autres et surtout quand on traverse un moment de fragilité car c’est ainsi que l’on redonne sa dignité à toute personne. Moi-même en pèlerinage à Lourdes j’ai été touché par ce qu’a exprimé un prêtre « Vous tous qui venez en pèlerinage ici, handicapés, malades, votre handicap n’est que la partie visible de tout homme qui a une part de fragilité…» Introduire une dimension spirituelle pour moi c’est surtout un regard très humble, accueillant et plein d’Espérance sur la personne qui ose venir chercher de l’aide. Je salue le courage que cela demande parfois de prendre un rendez-vous. Accepter de faire le travail nécessaire avec confiance et bienveillance envers soi, et emprunter ensuite le chemin vers le monde de l’autre peut être confié et mis sous le regard de Dieu.
Plus de 130 000 couples divorcent chaque année en France. Selon vous comment votre accompagnement aide-t-il les couples à gérer au mieux les crises au quotidien ?
Je propose une écoute attentive et empathique ainsi chacun se sent entendu et compris. Le cadre d’une consultation de CCF permet de se sentir accueilli et offre un temps précieux dédié à soi et au couple. Il permet de s’exprimer en sécurité et favorise l’écoute mutuelle. Au début du couple tout semble évident, les sentiments suffisent à créer un attachement fort et sécurisant et il semble qu’il va de soi. Mais avec les années, soumis aux difficultés ou évènements de la vie, le lien peut parfois se distendre, l’équilibre peut vaciller et chacun peut s’éloigner ou entrer dans le conflit se sentant seul ou incompris.
Hors la relation c’est un peu comme entretenir un jardin, il a besoin de soins réguliers et constants : mettre de l’engrais, arracher les mauvaises herbes, tailler, fleurir...sinon il dépérit. Chacun trouvera sa propre manière de faire mais prendre un rendez-vous de Conseil Conjugal ça peut être aussi ça. S’octroyer une respiration pour renouveler son amour, se réinventer pour redonner une nouveau souffle. Nous pensons à prendre des rendez-vous de kiné quand nous avons une entorse, alors pourquoi ne pas s’offrir un temps privilégié à deux pour se réajuster si ça coince. Le cadre d’un entretien permet de repérer et accueillir nos différences, nos désaccords, comprendre nos fonctionnements, et prendre conscience des blessures du passé qui peuvent entraver la relation.
Selon moi l’important aussi est d’arriver à faire que même en dehors de la consultation, même s’il y a des tensions, il y a un apprentissage à s’autoriser à se parler qui est route. Repérer et exprimer l’un l’autre ses ressentis, ses besoins, ses limites pour se faire comprendre davantage dans le respect mutuel et favoriser une meilleure connexion.
Pour moi, prendre soin de son couple c'est comme un cadeau que l'on s'autorise pour que l’amour et la communication circulent à nouveau. C’est une formidable preuve de volonté et le début du changement