Retrouvez l’édito de Mgr Le Vert pour le mois de février 2025.
Au cœur de notre année jubilaire, nous allons fêter le 1700ème anniversaire du Concile de Nicée, dont nous proclamons le Symbole régulièrement le dimanche, et qui s’est déroulé en 325. Pourquoi le célébrer ? Quelle est son actualité ? Je tire ma réflexion de l’intervention remarquable que le frère dominicain Gilbert Narcisse o.p. a faite à la journée de rentrée de l’Institut Pey Berland en septembre dernier.
Nicée, ville située en Turquie, connut la réunion du premier concile œcuménique de l’histoire de l’Église. Celui-ci fut convoqué pour répondre principalement à l’hérésie ravageuse du prêtre Arius, qui menaçait le cœur du christianisme, à savoir le Christ lui-même et sa divinité. C’est pourquoi le Credo de Nicée insiste sur l’identité du Christ Jésus Seigneur, Credo qui sera complété plus tard par le Concile de Constantinople sur la divinité du Saint Esprit.
La première actualité du Concile de Nicée est historique, non pas d’abord comme un événement exemplaire, mais comme l’émerveillement de l’action de l’Esprit-Saint qui a assisté les pères conciliaires, et qui continue de conduire notre Église et notre foi aujourd’hui. La véritable actualité, c’est notre espérance, c’est-à-dire la présence active de notre Dieu dans notre histoire, cette espérance qui oriente notre regard durant cette année jubilaire. La véritable actualité, c’est notre foi, qui est la même que celle de Pierre, de Paul, de tous les Apôtres et des nombreux chrétiens tout au long des siècles de l’Église, foi animée par le même Esprit.
Il y a aussi la dimension politique de cette actualité historique : à l’époque, les empereurs s’intéressaient beaucoup aux conciles et même les commandaient. Car les empereurs étaient très attachés à une forme de monothéisme ou de religiosité. En effet, quand on est au pouvoir, politique ou religieux, c’est plus simple de devenir le représentant de Dieu si ce dieu est unique. Les Conciles de Nicée et de Constantinople vont d’une certaine façon « briser » cette tendance. En effet, ils vont affirmer que le Dieu chrétien, Père, Fils et Saint Esprit, habite en tout baptisé, et même tout homme d’une certaine manière, par cet Esprit-Saint… et donc pas seulement dans l’empereur. Cela relativise beaucoup les pouvoirs de toutes sortes. C’est d’ailleurs un des fondements de la synodalité de l’Église, sur laquelle elle a réfléchi ces dernières années.
La deuxième actualité est que le Concile se place évidement au cœur de notre foi. Il tente de répondre à la question que Jésus a posée lui-même à ses disciples : pour vous qui suis-je ? Qui est Jésus ? La réponse tient en trois mots : Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme. Et le mot le plus important de cette expression est le plus petit : la conjonction de coordination « et ». Vrai Dieu et vrai homme ! Dans la réflexion théologique, on va balancer d’un côté ou de l’autre. Mais comment tenir les deux en même temps ? Avec en plus les conséquences : si on se trompe sur le Christ, on se trompera aussi sur Dieu ; le Dieu de Jésus-Christ ne sera plus le Dieu du Père du Fils et du Saint Esprit ; il ne sera plus le Dieu de la Trinité ; et la Trinité n’est plus connue par Jésus. Ce qui fait que le Concile de Nicée n’est pas seulement un concile christologique, mais aussi et peut-être d’abord un concile trinitaire. Car évidemment, Christologie et Trinité sont très liées : si on se trompe sur le Christ, on se trompe sur Dieu, on rate la Trinité ! Être chrétien, c’est confesser Jésus vrai Dieu et vrai homme, Sauveur, révélateur de la Trinité.
La troisième actualité de Nicée est donc un avertissement qui demeure très actuel : on peut se tromper dans l’intelligence de la foi, dans sa compréhension. On peut se tromper notamment si on lit mal les Écritures. Arius en avait une interprétation et une compréhension très déficientes. Si on veut connaître le Christ, il faut prendre toutes les Écritures, en articulant bien l’Ancien et le Nouveau Testaments, et ne pas se tromper dans leur interprétation. La recherche de la vérité dans l’intelligence de la foi est ainsi primordiale. Et elle est toujours un combat spirituel, comme l’espérance.
La quatrième actualité du Concile de Nicée est évidemment le sens de l’Église. Arius s’est trompé car il lisait mal les Écritures ; et il lisait mal les Écritures parce qu’il s’est isolé dans son erreur, loin du sens de la Tradition et du sens de l’Église. Déjà, depuis le IIème siècle, saint Irénée disait : si vous ne voulez pas vous tromper, restez dans la Tradition apostolique. À ce moment-là, la Tradition n’était pas longue : il n’y avait que deux ou trois générations depuis les Apôtres. Mais très tôt, saint Irénée l’a perçu. Voilà pourquoi ce grand saint a été si important pour le Concile Vatican II : il a été pris comme référence pour définir le sens de la Tradition dans la grande constitution Dei Verbum. Il faut s’inscrire dans cette Tradition, dans ce sens de l’Église, si on veut poser correctement les questions sur la foi. Pour pénétrer dans le mystère de la foi, il faut comprendre l’Écriture Sainte (qui ne s’identifie pas purement et simplement à la Parole de Dieu) ; et pour cela, il faut la lire dans la Tradition. C’est seulement ainsi qu’elle devient réellement Parole de Dieu.
Le Concile de Nicée est donc d’une actualité extrêmement forte. Il nous apprend – et c’est très important – à ne pas réduire Jésus à un être exemplaire parmi d’autres. Il y a quelque chose d’unique et de transcendant en Jésus ; et c’est sa divinité ! C’est ce que nous disent les Évêques de France dans leur lettre adressée au Peuple de Dieu, à l’occasion du Jubilé et de l’anniversaire du Concile de Nicée, depuis Lourdes le 10 novembre dernier. Il est bon de la citer.
« L’affirmation de Nicée apporte quelque chose de proprement révolutionnaire quant à l’image de Dieu, à notre compréhension de l’homme, de l’Église et de son rapport au monde. C’est précisément pourquoi cette affirmation a été combattue : le courant arien a été très puissant au IVème siècle, et la ‘‘tentation arienne’’ persiste, peut-être inconsciemment, dans bien des images assez répandues d’un Dieu dont la transcendance interdit une réelle proximité avec l’humanité. Selon une telle perspective, Jésus reste un admirable modèle à imiter, porteur de valeurs, mais puisqu’il n’est plus reconnu comme Dieu, le mystère pascal n’est plus œuvre divine et, par sa mort et sa résurrection, Jésus ne nous communique pas la vie divine. Le mystère de la sainte Trinité s’estompe alors : l’éternelle communion d’amour des trois personnes est remplacée par le monothéisme habituel d’un Dieu solitaire. Or, dans le paysage des grandes religions dites révélées, l’exception chrétienne tient à ce point central de notre foi, affirmé à Nicée : l’homme Jésus est Dieu.
Cette affirmation, unique dans l’histoire religieuse de l’humanité, nous permet de croire que le Fils, Personne de la Trinité, a réellement offert sa vie sur la Croix pour le salut de tous. Quelqu’un qui est Dieu, envoyé par Dieu, le Fils éternel, s’est humilié pour venir à nous et pour nous sauver de la mort et du péché. […] Dieu ne vient pas tant à nous comme sacré, séparé, immuable, intouchable, mais comme le ‘‘trois fois Saint’’, l’Au-delà de tout, l’Éternel, qui, en Jésus-Christ, vient vers les pécheurs pour les réconcilier, les guérir, les associer au mouvement de son amour. […] En Jésus, nous contemplons […] l’abîme d’amour et de miséricorde du Père pour nous, pleinement révélé par la vie, l’enseignement et le mystère pascal de son Fils. Chacun peut alors faire sienne l’extraordinaire découverte de saint Paul : ‘‘Il m’a aimé et s’est livré pour moi’’ (Ga 2, 20) ; et comprendre l’affirmation de l’Apôtre Pierre, rempli de l’Esprit-Saint, à propos de Jésus : ‘‘En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver.’’ (Ac 4, 12).
Professer la foi de Nicée, reçue dans l’Église, entraîne [alors] nécessairement une nouvelle façon de prier et de vivre. […] Reconnaissons-nous vraiment que Dieu se révèle sur le visage de Jésus : ‘’Celui qui m’a vu a vu le Père’’ (Jn 14, 9) ? En tirons-nous les conséquences ? Laissons-nous ce visage s’imprimer en nous, de sorte que notre regard sur les autres, sur tous les autres, et notre attitude vis-à-vis d’eux soit ceux du Christ lui-même ? L’Alliance nouvelle et éternelle, que le prophète Jérémie a annoncée (Jr 31, 31) et que Jésus, vrai Dieu et vrai homme, inaugure, introduit une nouveauté inouïe dans notre relation à Dieu et aux autres.
L’univers, par conséquent, n’est plus organisé selon les catégories du pur et de l’impur. Tout peut être pur pour ceux et celles qui se convertissent toujours à la suite du Christ. La quête de Dieu ne se résume pas à éviter ce qui est interdit et à faire tout ce qui est permis ; elle consiste à chercher le visage de Jésus, à se laisser transformer par sa grâce, afin de participer de plus en plus à l’amour de Dieu manifesté dans le Christ.
La foi de Nicée donne de redécouvrir […] la source et le sommet de la présence vivante de Celui qui a voulu naître parmi nous, pauvre et humble. Il n’est pas un Dieu lointain agissant par des paroles et des gestes magiques ; il est le Dieu qui marche avec nous dans l’humilité de notre humanité, à laquelle il continue de s’unir par amour. » (§ 11…17)
+ Jean-Marie Le Vert
Évêque auxiliaire de Bordeaux