Sainte Thérèse, témoin de la tendresse de Dieu
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Lors de la préparation du dernier conclave qui devait voir l’élection du pape François, celui qui n’était encore que le cardinal Bergoglio avait fait une intervention qui avait été remarquée. Il avait dit que l’Église ne devait pas ressembler à la femme recourbée de l’Évangile, celle qu’un mauvais démon amène à vivre recroquevillée sur elle-même. Et le cardinal disait : l’Église est cette femme recourbée quand elle se referme sur elle-même, ne s’intéresse qu’à elle, qu’à sa vie interne, qu’à son organisation, qu’à la planification de ses activités alors que Jésus, au contraire, l’appelle à être porteuse d’une bonne nouvelle qu’elle doit apporter à tous ceux et celles qui attendent un salut, une bonne nouvelle, une espérance, une parole de foi. Pour le pape François, cette bonne nouvelle, c’est la révélation à tous, et aux pauvres en particulier, de la tendresse de Dieu. Plus d’une fois, nous trouvons dans la prédication du pape l’accent mis sur la tendresse, la miséricorde, la compassion de Dieu.
Cette tendresse est au cœur de ce que la révélation biblique nous dit du vrai visage de Dieu. Notre Dieu n’est pas un dieu lointain ou indifférent. Il n’est pas ce dieu justicier et vengeur qui viendrait tourmenter la conscience des hommes. Il est un Père qui a des entrailles de mère. Ne dit-il pas à son peuple par la voix du prophète Isaïe : « Vous serez comme des nourrissons que l’on porte sur son bras, que l’on caresse sur ses genoux. De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai ; dans Jérusalem vous serez consolés » (Is 66, 12-13) ? La Bible nous dit que les entrailles de Dieu frémissent comme celle d’une mère qui voit tout d’un coup son enfant en danger et Matthieu nous montre que Jésus fut bouleversé au plus profond de lui-même en voyant toutes ces foules qui étaient là, harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger (Mt 9, 36). Oui, en Jésus, Dieu nous montre qu’il a un cœur, un cœur brûlant d’amour, un cœur qui sera transpercé.
La révélation de cet amour est au cœur de l’Evangile. Il est au cœur de ce salut apporté par le Christ. Comme l’écrit le pape François dans son exhortation La Joie de l’Evangile : « Dans ce cœur fondamental resplendit la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ mort et ressuscité » (n° 36). Oui, Jésus nous révèle cette tendresse du Père. Il vient dire à chacun : « Tu es aimé. Quel que soit le jugement que les autres peuvent porter sur toi ou que tu peux porter sur toi-même à certains jours, dis-toi que tu es aimé, aimé gratuitement, sans mérite de ta part. Tu es le fils, la fille, bien-aimés du Père. Laisse-toi aimer. Laisse cet amour t’habiter, demeurer en toi, et tu verras qu’il sera une force de transformation intérieure. Il t’éclairera, te guérira, te dynamisera, te donnera paix et joie, t’établira dans la confiance. Et si tu es aimé, tu es invité à ton tour à aimer. Accueille cet amour qui vient de Dieu, rayonne cet amour et tu auras la vie ». C’est là tout le message de l’Evangile.
Ce message, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus l’a accueilli de toute son âme. Elle se reconnaît dans l’image du nourrisson qu’évoque le prophète Isaïe ou dans celle de l’enfant que Jésus présente à tous comme étant le modèle du disciple. Qu’évoque l’enfant dans l’Evangile ? Non point l’innocence ou la pureté mais la fragilité et la dépendance. Un petit enfant, pour vivre, dépend totalement de ceux qui l’aiment et le prennent en charge. Il n’a rien à rendre en échange si ce n’est d’ouvrir les bras et de se laisser embrasser. C’est ce que fait Thérèse. Avec un sens évangélique très sûr, elle refuse une sainteté qui serait acquise à la force du poignet, une recherche effrénée de perfection. Elle se confie à l’amour de Dieu, se réfugie entre les bras de son Seigneur et se laisse porter par lui. Elle écrit : « Nous sommes dans un siècle d'inventions, maintenant ce n'est plus la peine de gravir les marches d'un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m'élever jusqu'à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j'ai recherché dans les livres saints l'indication de l'ascenseur, objet de mon désir et j'ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Éternelle : Si quelqu'un est TOUT PETIT, qu'il vienne à moi. Alors je suis venue, devinant que j'avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! Ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j'ai continué mes recherches et voici ce que j'ai trouvé : - Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! Ah ! Jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n'ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus ».
Accueillir la tendresse de Dieu, c’est grandir dans la confiance, c’est entrer dans la confiance du Fils qui nous dit que « sa nourriture, c’est faire la volonté de celui qui l’a envoyé » (cf. Jn 4, 34), c’est remettre notre vie entre les mains aimantes et puissantes du Père, comme Jésus : « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Lc 23, 46). C’est savoir que Dieu ne nous laisse pas tout seuls, avec nos limites, nos faiblesses et nos péchés mais qu’il nous soutient de la force de son Esprit. Cette confiance nous fait dire avec saint Paul : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 28).
Accueillir cette tendresse, c’est aussi se laisser habiter par elle. C’est elle qui modifiera notre regard. Nous porterons sur les autres un regard éclairé par la bienveillance de Dieu. Nous apprendrons à regarder les autres avec les yeux mêmes du Christ. L’amour appelle l’amour. Si nous sommes aimés, si nous sommes des pécheurs pardonnés, nous sommes appelés à être à notre tour acteurs de pardon et de réconciliation.
Je dirais enfin que c’est l’expérience de cette tendresse qui est à la source même de l’évangélisation. Celle-ci n’est pas une stratégie commerciale visant à gagner de nouveaux clients. Elle est le témoignage et l’offre d’une joie qui est communicative. C’est parce qu’on a été touché par l’amour du Christ qu’on a envie de le faire connaître et de le faire goûter. De plus, je pense que cette annonce de la tendresse et de la miséricorde de Dieu est profondément accordée aujourd’hui à l’attente de beaucoup. Qui n’a pas envie d’être aimé ? La vie est dure. Les blessures affectives sont fréquentes. Je le vois dans la vie d’un certain nombre de familles. La tendresse du Père, quand on la découvre et quand on la reçoit, peut être pour beaucoup la source d’une véritable guérison et d’une vie vraiment nouvelle.
Oui, Dieu nous aime. Avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, accueillons cet amour et rayonnons-le. Amen.
† Jean-Pierre cardinal Ricard
Archevêque de Bordeaux
Crédit photos - Sanctuaire de Lisieux