“ Pas de paix sans fraternité ”

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Homélie de la messe pour la Paix, célébrée en l'église Saint-Bruno à Bordeaux, le 11 novembre 2015.

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Le passage de l’épître aux Colossiens que nous venons d’entendre nous décrit par petites touches l’attitude de ceux qui sont de véritables artisans de paix : la compassion, la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel et l’amour. En fait, l’apôtre dessine là le vrai visage de la fraternité. Or, je crois que paix et fraternité sont profondément liées : pas de paix durable sans dynamique de fraternité. S’il ne cultive pas la fraternité, l’homme risque bien d’être alors un loup pour l’homme. Le pape François déclare : « La fraternité est une dimension essentielle de l’homme, qui est un être relationnel. La vive conscience d’être en relation nous amène à voir et à traiter chaque personne comme une vraie sœur et un vrai frère ; sans cela, la construction d’une société juste, d’une paix solide et durable devient impossible. Et il faut immédiatement rappeler que la fraternité commence habituellement à s’apprendre au sein de la famille, surtout grâce aux rôles responsables et complémentaires de tous ses membres, en particulier du père et de la mère. La famille est la source de toute fraternité, et par conséquent elle est aussi le fondement et la première route de la paix, puisque par vocation, elle devrait gagner le monde par son amour. » (Message pour la Journée de la paix, 1er janvier 2014).

La fraternité fait partie de notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. La fraternité n’est pas l’amitié. On choisit ses amis. On reçoit ses frères et ses sœurs. On ne les choisit pas, ils nous sont donnés. Alors, quelle fraternité peut exister dans une civilisation qui privilégie l’individu, sa recherche d’épanouissement personnel, ses intérêts et ses choix ? On vit de plus en plus dans une société de réseaux où on choisit ses amitiés et ses solidarités en fonction de ses affinités et de sa sensibilité. Reconnaissons-le : parmi les valeurs de la République, la fraternité est sans doute celle qui semble la plus difficilement honorée.

En effet, elle apparaît à beaucoup de nos contemporains, et à des jeunes en particulier, comme un concept abstrait, vague, peu mobilisant, souvent démenti par la dureté des rapports économiques ou sociaux. Je crois qu’il est important de revisiter nos valeurs fondatrices, comme celle de la fraternité, et de les lester d’un contenu mobilisant. C’est vital aujourd’hui pour notre vie sociale, tout particulièrement pour nos responsabilités éducatives. Et, c’est là que les traditions spirituelles peuvent apporter leur contribution et offrir à tous une aide précieuse. Les chrétiens ont à témoigner de la foi et de l’espérance dont ils sont porteurs. Ils ont à partager leur expérience de la fraternité. Car cette notion a un enracinement profondément chrétien. Le texte de l’épître aux Colossiens que nous avons entendu vient de nous le rappeler avec beaucoup de force.

La fraternité renvoie toujours à la parentalité. Les hommes ne sont pas frères simplement parce qu’ils sont tous dotés de raison et de liberté mais parce qu’ils sont les enfants d’un même Père. Le fondement de la fraternité est l’amour trinitaire. Tous les hommes sont aimés par le Père et créés dans le Fils à son image. Ils sont tous rachetés par le Christ et visités par l’Esprit. Saint Paul écrira aux Galates : « Fils, vous l’êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba – Père ! Tu n’es donc plus esclave, mais fils ; et,  comme fils, tu es aussi héritier : c’est l’œuvre de Dieu » (Gal. 4, 6-7). Tous les hommes ont égale dignité : ils sont tous fils de Dieu. Mais il y a plus : on ne peut aimer Dieu comme un Père si on n’aime pas les autres, qui nous sont donnés par lui, comme des frères. Saint Jean nous le rappelle : « Si quelqu’un dit : j’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

La foi chrétienne vient également donner à la fraternité sa dynamique. Elle en a une approche tout à la fois mystique et profondément réaliste. Dans une approche chrétienne, en effet, la fraternité n’est pas un principe abstrait. Elle n’est pas une qualité des relations entre les hommes qu’on pourrait aisément présupposer. Elle est de l’ordre de la volonté personnelle, de la conversion, de l’engagement et même du combat spirituel. La fraternité n’est pas une donnée statique et naturelle. C’est un impératif, un appel, une mission qui attend sa réalisation.

Reconnaissons que la dynamique première de l’homme n’est pas immédiatement celle de l’accueil de l’autre et du don à l’autre. Elle est celle de l’accaparement, de la jalousie et de la rivalité mimétique. Le philosophe René Girard, qui vient de nous quitter, a eu sur le sujet des pages particulièrement  éclairantes. On dit parfois que nous sommes riches de nos différences. En réalité, le plus souvent, les différences de l’autre me déstabilisent et m’agressent. Ceci est vrai de la relation entre les personnes, comme de la relation entre les groupes humains et entre les pays. Pour vivre vraiment la fraternité, il nous faut sans cesse passer de la logique de la chair, au sens paulinien du terme, à la logique de l’esprit, de Babel à Pentecôte. Il nous faut, en fait, devenir les prochains de nos frères, de tous nos frères, quels qu’ils soient. Et vous le savez, être le prochain dans l’Evangile, c’est devenir proche de l’autre, quitte à devoir franchir comme le Samaritain de la parabole, bien des distances géographiques, affectives, culturelles, sociales ou politiques. La fraternité désinstalle, bouleverse les préjugés et les a priori. Cette fraternité selon le Christ n’a pas de frontière. Elle se vit à l’égard de tout homme, quelles que soient sa race, sa nation, son origine sociale ou sa religion. Elle implique : « une nécessaire attention à tous les frères, notamment les plus petits, les plus fragiles, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle » (Jean-Paul II : Lettre à Mgr D-L Marchand – 1999). Avouons qu’une telle fraternité est un défi à une époque où dans le monde les conflits ethniques s’exacerbent, les frontières se ferment, le populisme a le vent en poupe et  où le terrorisme se pare d’une caution religieuse.

Oui, la fraternité est un engagement, une conversion et un combat. On comprend que dans l’expérience chrétienne on puisse la mettre en relation avec le baptême et la nouveauté radicale de la vie chrétienne. L’amour que l’Esprit Saint répand  dans nos cœurs rend possible cet amour fraternel. Il lui fait porter du fruit, ce fruit que l’apôtre Paul décrit dans l’épître aux Galates : « Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi »  et Paul ajoute : « Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi sous l’impulsion de l’Esprit » (Gal. 5, 22-23 et 25). Avec le Christ s’instaurent ces nouvelles relations qui se vivent entre les membres de la communauté chrétienne : communion dans la foi et la prière, partage du même pain eucharistique, soutien fraternel et solidarité dans le partage des biens. La description que le livre des Actes des Apôtres (cf. Ac 2, 42-47) donne de la première communauté chrétienne restera, tout au long de l’histoire de l’Eglise, une source d’inspiration particulièrement féconde pour tous ceux qui voudront donner un visage communautaire à la fraternité. 

Mais c’est dans l’Eucharistie que se trouve la dynamique la plus puissante de la vie fraternelle. En nous unissant au sacrifice du Christ, en communiant avec lui par une vie donnée, par une vie livrée, nous sommes unis les uns aux autres. Partageant le même pain eucharistique, nous devenons les membres du corps ecclésial du Seigneur. Celui-ci nous fait frères les uns des autres, chargés d’annoncer à l’humanité que la fraternité est possible et que, déjà, elle se donne à voir.

Que cette eucharistie que nous célébrons ce matin façonne en nous ce cœur vraiment fraternel. Qu’elle fasse de chacun de nous un artisan résolu de paix et de fraternité envers tous. Amen.

 

+ Jean-Pierre cardinal Ricard

Archevêque de Bordeaux

 

 

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