Le double appel du Seigneur
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Chers amis,
Une ordination n’est pas une entrée dans le monde du travail après une période d’études. Elle n’est pas non plus un rite conclusif venant marquer la fin d’une période d’initiation. Elle est fondamentalement un événement spirituel, une rencontre avec le Seigneur. Dans la célébration de l’ordination, l’Eglise présente à Dieu un homme pour qu’il en fasse un évêque, un prêtre ou un diacre, mais en accomplissant cela, l’Eglise s’en remet à Dieu, s’efface devant l’action de l’Esprit Saint et fait retentir ce double appel que le Seigneur adresse à chacun des ordinands : « Viens, suis-moi » et « Va, je t’envoie ».
Viens, suis-moi.
Frank et Philippe, cet appel, le Seigneur vous l’adresse solennellement aujourd’hui par la voix de son Eglise. Mais, il y a longtemps que vous l’avez entendu. Cet appel vous a mis en route.
Frank, c’est cet appel qui t’a fait entrer au Séminaire de Washington, rejoindre la Communauté de l’Emmanuel, aller faire des études en Belgique puis trouver à Bordeaux un nouveau port d’attache. Tu as du quitter beaucoup de choses pour te rendre disponible au Seigneur et prêt à servir son Peuple là où il te conduirait. Rassure-toi. Le Seigneur te fera goûter la réalisation de sa promesse, celle qu’il fait à ses disciples lorsqu’il leur dit : «En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Evangile, sans recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle » (Mc 10, 29-30).
Philippe, vous avez entendu vous aussi l’appel du Seigneur : « Viens, suis-moi ». Certains peuvent faire la remarque qu’extérieurement vous n’avez rien quitté, ni votre profession, ni votre lieu d’habitation, ni votre participation paroissiale, ni votre vie conjugale ou familiale. L’Eglise demande d’ailleurs au diacre permanent de garder un équilibre de vie et de ne pas sacrifier sa vie conjugale et familiale aux impératifs de son ministère. Et pourtant, Philippe, cet appel du Seigneur vous a déplacé intérieurement, a fait bouger votre couple et votre vie de famille. Vous avez senti que le Seigneur vous demandait de vous mettre à son service et au service de son peuple, même si c’était au prix du sacrifice d’une légitime ambition professionnelle. Vous le savez : être prêtre ou être diacre permanent n’est pas un engagement limité dans le temps. C’est un ministère pour la vie, c’est une mise à disposition du Seigneur et de son Eglise qui va marquer la vie baptismale de celui qui s’y donne. C’est une aventure spirituelle qui va accompagner toute une existence. Comme Pierre dans l’Evangile, toute la vie de l’évêque, du prêtre et du diacre est sous l’appel du Christ : Viens, suis-moi !
Cet appel du Seigneur, Frank et Philippe, il vous a été transmis par d’autres, par votre entourage. Oui, c’est parce que d’autres nous interpellent que nous découvrons l’appel du Seigneur. Alors, n’hésitons pas à appeler, à interpeller. Faisons-le avec tact, avec respect de la liberté, en tenant compte du bon moment pour le faire. Je suis frappé de voir que bien des candidats au diaconat permanent ont été appelés, questionnés, par une équipe d’animation pastorale, par un conseil pastoral, par un prêtre ou par un autre diacre, et se sont mis en route. On a parfois plus de réserve pour appeler un jeune au sacerdoce. On a peur de le conditionner, d’influencer sa liberté. Je dois avouer que je ne sais pas si je serais là aujourd’hui si, à quatorze ans, mon aumônier scout ne m’avait pas posé la question : « N’as-tu jamais pensé à devenir prêtre ? ». De plus, de nos jours, le conditionnement va dans un autre sens. Rien ne pousse, dans notre société française, à être prêtre. Ce n’est pour beaucoup ni une promotion ni un idéal. C’est donc, paradoxalement, aider aujourd’hui un jeune à acquérir un certain espace de questionnement et de liberté que de lui poser la question de la vocation sacerdotale. Nos communautés chrétiennes doivent être moins complexées pour faire retentir l’appel du Seigneur.
Va, je t’envoie.
Frank et Philippe, le Seigneur vous envoie aujourd’hui au service de son Peuple. Certes, comme prêtre et comme diacre, votre ministère et votre charisme sont différents mais vous êtes tous les deux envoyés, comme les 12 et les 72, pour annoncer l’Evangile et faire croître le Peuple de Dieu en vue du Royaume. Comme dit Saint Paul, chacun, vous avez reçu le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous (cf. 1 Cor. 12, 7).
Frank, comme prêtre, tu vas présider la célébration eucharistique. Tu vas offrir au nom de l’Eglise rassemblée le sacrifice eucharistique du Christ et tu vas inviter tous ceux qui se rassemblent ainsi à s’offrir eux-mêmes dans le Christ. Tout à l’heure, d’ailleurs, dans la prière eucharistique nous demanderons au Seigneur : « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire ». Le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce de tous les baptisés. Celui-ci est la mise en œuvre dans la vie quotidienne de ce que Saint Paul demande aux chrétiens de Rome : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre. Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait. » (Rm. 12, 1-2). Nous avons là, exprimé dans sa dynamique la plus profonde, le rôle, le ministère, du pasteur. Le pasteur n’est pas d’abord le chef, l’administrateur et encore moins le propriétaire jaloux de sa communauté. Il est avant tout l’éducateur à la foi et à l’expérience chrétienne. Dans la vie quotidienne, il doit aider enfants, jeunes, hommes et femmes à grandir dans la foi et la confiance, à garder l’espérance dans l’épreuve, à vivre la charité fraternelle et les liens de communion, à s’engager comme disciples et témoins du Christ. Cela appelle de la part du pasteur présence, accompagnement, soutien, patience, charité pastorale. Ce lent accouchement des croyants implique parfois pour le prêtre épreuves et participation au mystère pascal du Christ. Frank, tu es invité par le Seigneur à être ce pasteur selon son cœur.
Philippe, tout à l’heure vous étiez dans l’assemblée, porteur de toutes ces relations qui font votre vie familiale, professionnelle, amicale et sociale. A la fin de la prière eucharistique, vous offrirez le calice du sang du Christ. Vous serez au cœur du sacrifice du Seigneur. Tout votre ministère diaconal de serviteur tient dans ce lien, dans cette relation entre ce qui est le plus quotidien de la vie des hommes que vous partagez et le sacrifice eucharistique. En quelque sorte, le diacre est un passeur. Il aide à faire ce passage vers le Seigneur. Philippe, dans votre vie quotidienne, vous serez témoin de l’invitation du Seigneur, qui appelle tous les hommes à sa table. Vous serez le serviteur de Celui qui s’invite à la table des pécheurs, qui accueille les foules et qui a une prédilection pour les pauvres, les petits et les malades et leur révèle l’amour du Père. Au cœur de la célébration eucharistique, vous nous rappellerez que notre Eglise ne peut être l’Eglise du Christ que si elle est aussi l’Eglise des pauvres, des malades, des exclus ou des étrangers. Le Seigneur vous donnera cette grâce d’être ce serviteur selon son cœur.
Frères et sœurs, que cette ordination que nous célébrons en la fête du Corps et du Sang du Christ nous donne d’accueillir dans l’action de grâce ce nouveau prêtre et ce nouveau diacre que Dieu nous envoie. Ils vont nous inviter à offrir, nous aussi, nos vies au Seigneur dans le sacrifice eucharistique. Puissions-nous y répondre avec joie. Amen.
† Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux
Evêque de Bazas