“Laissons-nous conduire par Dieu. Laissons-nous surprendre.”
Dans la mission, il ne faut pas vouloir tout maîtriser à l’avance. Soyons libres intérieurement et disponibles pour passer par les chemins où Dieu nous attend et sur lesquels il veut nous conduire.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais réfléchir quelques instants avec vous ce soir sur ce texte du livre de l’Exode que nous venons d’entendre. Il y est question de l’Esprit de Dieu en action, de l’Esprit de Dieu en Moïse, de l’Esprit sur les 70 anciens qui vont l’aider à veiller sur le peuple et sur Edad et Médad, qui ne s’étaient pourtant pas rendus avec les autres dans la Tente de la Rencontre. Et Moïse va avoir cette parole qui, pour nous, est riche en résonnances : « Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! ».
Nous savons qu’avec la résurrection du Christ cette promesse s’est réalisée. Au moment où le Ressuscité se fait reconnaître par les siens, il va leur communiquer l’Esprit Saint. Saint Jean nous dit : « Il souffla sur eux et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ » (Jn 20, 22). Il est intéressant de noter que c’est au moment où il envoie ses disciples en mission, qu’il donne l’Esprit. Il vient de leur dire : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie » (Jn 20, 21). Ceci vient nous rappeler que la mission selon le Christ est fondamentalement une action du Saint Esprit. L’évangélisation demande, bien sûr, réflexion et initiatives. Mais elle n’est pas qu’une affaire de projet pastoral un peu volontariste ni qu’une question de stratégie apostolique à définir puis à appliquer. Elle est par excellence notre réponse à l’appel que le Christ nous adresse et l’offre de notre collaboration à l’action de l’Esprit Saint. Relisez les Actes des Apôtres. Vous verrez combien la diffusion de l’Évangile, depuis Jérusalem jusqu’à la libre prédication de Paul à Rome (Ac 28, 31), est l’œuvre de l’Esprit. L’Esprit Saint permet la diffusion de l’Évangile de nombreuses manières. C’est lui qui ouvre les portes à l’évangélisation, guide les apôtres, appelle les païens, donne la force de témoigner sous la persécution et établit de nouvelles Églises. Il répartit ses dons les plus divers et c’est « dans l’Esprit » que les disciples sont baptisés.
Frères et sœurs, en aidant nos communautés à entrer dans une dynamique missionnaire, nous ne suivons pas une mode pastorale. Nous servons le Seigneur qui nous précède en Galilée, c’est-à-dire sur les routes de la mission. Nous servons l’Église dont la nature la plus profonde est d’évangéliser. Nous servons l’action de l’Esprit Saint qui fait de nous des disciples et des apôtres. N’éteignez pas l’Esprit !
Les défis que l’évangélisation a à affronter aujourd’hui sont multiples. Ils peuvent provoquer en nous peur ou inquiétude. Ne vaut-il pas mieux se replier sur notre pré carré, sur nos habitudes, nos façons de faire, nos horizons familiers ? Mais si l’évangélisation est une action de Dieu, l’Esprit Saint nous armera pour le combat, nous donnera tous les dons nécessaires pour mener à bien notre mission. Je crois que nous ne sommes pas assez attentifs aux dons du Saint Esprit. Nous ne croyons pas suffisamment aux charismes que donne l’Esprit aux baptisés. C’est pourtant un des points qu’a particulièrement mis en valeur le Concile Vatican II. On lit dans la Constitution sur l’Église : « Mais le même Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le Peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en chacun » (1 Co12, 11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église, suivant ce qu’il est dit : « C’est toujours pour le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste dans un homme » (1 Co 12, 7). Ces grâces, des plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant tout ajustées aux nécessités de l’Église et destinées à y répondre » (n° 12). Moïse ne porte pas tout seul la charge de conduire le Peuple de Dieu. Il ne garde pas jalousement pour lui le don de Dieu. Il accepte que 70 anciens reçoivent chacun une part de l’Esprit pour l’aider dans sa tâche. Loin d’être des accapareurs de responsabilité, les prêtres doivent au contraire en être des démultiplicateurs. Ils sont appelés à aider au discernement et à l’émergence des charismes de tous les baptisés. La vie de l’Église ne doit pas être monocorde mais symphonique. L’Esprit est riche en dons pour la vie de l’Église et pour sa mission. Saint Paul nous dit : « A chacun, la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien de tous » (1 Cor. 12, 7). Nous pouvons être souvent surpris. Au moment d’une initiative missionnaire, il y a des personnes qui se révèlent, auxquelles on n’aurait pas forcément pensé auparavant. Dans la mise en œuvre de la coresponsabilité prêtres, diacres, laïcs, il s’agit moins de rééquilibrer les pouvoirs que d’entrer dans une vue plus « charismatique », plus « spirituelle » de l’Église, où chacun est accueilli avec le charisme dont il est porteur. Cette façon de vivre l’Église est marquée au coin par l’Esprit Saint. On ne sera pas étonné qu’elle soit source de communion, de joie et d’ardeur apostolique.
Mais il nous faut franchir un pas de plus. L’action de l’Esprit ne se limite pas à la communauté rassemblée. Il est libre comme le vent. Il n’obéit pas à nos garde-fous ni à nos étroitesses. Josué en sera pour ses frais. Edad et Médad recevront eux aussi de l’Esprit leur part de mission. L’Esprit Saint nous devance sur les routes de l’évangélisation. Il prépare et touche les cœurs à son gré. Regardez dans les Actes des Apôtres combien le centurion Corneille a été préparé par Dieu avant sa rencontre avec l’Apôtre Pierre. Cette préparation ne rend pas caduque l’annonce par Pierre du message de salut dont il est porteur. Au contraire, elle la rend possible. N’oublions pas que, selon les Actes des Apôtres, c’est Dieu, « qui ouvre aux païens la porte de la foi » (Ac. 14, 27).
Ceci doit nous inviter à la confiance. Dans l’évangélisation, nous ne sommes pas seuls. Le Seigneur est à l’œuvre. Comme dit l’apôtre Paul : c’est Dieu qui est le bâtisseur et le moissonneur : « Nous sommes des collaborateurs de Dieu. Vous êtes le champ que Dieu cultive, la maison qu’il bâtit » (1 Cor 3, 9). Qui dit confiance dit aussi dé-maîtrise. Laissons-nous conduire par Dieu. Laissons-nous surprendre. Si l’Esprit fait du neuf, il nous étonnera. Dans la mission, il ne faut pas vouloir tout maîtriser à l’avance. Soyons libres intérieurement et disponibles pour passer par les chemins où Dieu nous attend et sur lesquels il veut nous conduire.
Que le Seigneur donne à notre diocèse et à chacune de nos communautés la grâce de découvrir à frais nouveaux la présence et l’action de l’Esprit Saint, afin de pouvoir en vivre davantage et se laisser guider par lui. Que la Vierge Marie qui a si bien su se mettre sous son ombre nous y aide et veille sur nous. Amen.
+ Jean-Pierre cardinal Ricard
Archevêque de Bordeaux