Entrer en Carême, c'est se remettre en route avec le Christ !
Le Christ nous appelle à être libres, libérés de tout ce qui nous replie sur nous-mêmes, afin d’être libres pour aimer. (Mgr Ricard)
Chers frères et sœurs, chers amis,
Entrer en Carême, c’est se remettre en route avec le Christ. C’est prendre comme compagnon de route celui qui nous appelle et dit à chacun : « Viens. Suis-moi ! ».
Cet appel, c’est celui que Jésus adresse à André, à Pierre son frère, à Matthieu, à chacun de ses apôtres. C’est l’appel qui est au cœur de notre vie baptismale, de notre vie chrétienne. Or, très souvent - reconnaissons-le – cet appel est assourdi. Notre marche s’est ralentie et nous risquons souvent de faire du sur place. En effet, nous sommes occupés par bien d’autres choses qui nous accaparent : notre travail, nos études, les mille occupations de nos journées. Nous sommes distraits par tant de choses qui retiennent notre esprit et notre attention. Le Carême nous est donné comme un temps d’éveil, de réveil, d’écoute du Seigneur qui nous fait signe. C’est un temps où l’Église nous dit à chacun, comme les apôtres à l’aveugle Bartimée qui était là au bord du chemin : « Courage, lève-toi. Il t’appelle » (Mc 10, 49).
Cet appel est personnalisé. Jésus s’adresse à chacun d’entre nous. Il nous appelle par notre nom. Il nous invite à être avec lui et à prendre avec lui la route de l’Évangile. Cet appel du Seigneur est motivé par son amour pour nous, par l’amitié qu’il veut nouer avec chacun d’entre nous. C’est lui qui prend l’initiative et vient à notre rencontre : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit le Seigneur, c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai institués afin que vous portiez du fruit » (Jn 15, 16). Ce soir, entendons cet appel du Seigneur et mettons-nous en route !
Mais, à quoi nous invite ce chemin que nous propose le Christ ? Fondamentalement, à un temps de conversion. Vous savez que, quand l’évangéliste Marc nous présente la première prédication de Jésus, il la résume avec ces quelques mots : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1, 15). Ce sont ces mêmes mots qui seront dits sur nous au moment où nous allons recevoir les cendres : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Se convertir dans le langage de l’Évangile n’a pas le sens moderne que nous donnons à ce terme, qui signifie dans le langage courant : changer de conviction, changer de religion. Dans l’Évangile, se convertir, c’est vivre un retournement intérieur, c’est faire tout un travail en soi et sur soi. C’est vouloir changer de vie, ou tout au moins de mode de vie, de façon de vivre.
L’Évangile nous invite à un travail sur nous-mêmes. Il nous appelle à vivre un véritable décentrement par rapport à nous-mêmes. Il nous révèle que le chemin de la vie, de la vraie vie, de celle qui ne déçoit pas, passe par le don de soi, passe par l’amour. Au scribe qui l’interrogeait, Jésus va dire que toute la réponse de foi consiste en l’amour : tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Le message n’est pas très compliqué à comprendre mais il est exigeant.
Nous nous rendons compte que le décentrement qu’implique cet amour auquel le Christ nous appelle est difficile à vivre. Il n’est pas toujours évident. Pour aimer, il faut être libres. Or, nous constatons que souvent notre liberté est entravée. Si ce ne sont pas forcément des boulets que nous traînons aux pieds, ce sont bien des fils à la patte qui nous handicapent. Le cœur ou l’esprit sont pris. Notre liberté est conditionnée par bien des addictions, à l’argent, au tabac, à l’alcool, à la drogue, au sexe ou à la pornographie. Nous pouvons être esclaves de notre Smartphone, des jeux vidéo. Nous pouvons être prisonniers de nos jalousies, de nos peurs, du regard des autres, de l’image que nous voulons que les autres aient de nous, de nos indifférences ou du repli sur nous-mêmes à certains jours.
Avouons que nous avons besoin d’une bonne cure de libération de notre liberté. Le Christ nous appelle à être libres, libérés de tout ce qui nous replie sur nous-mêmes, afin d’être libres pour aimer. C’est là que le Carême se propose à nous comme ce temps de conversion, de changement.
Précisons tout de suite que ce travail de conversion, nous ne le faisons pas nous-mêmes à la force du poignet, comme si tout dépendait de notre volonté et si tout découlait des bonnes résolutions que nous pouvons prendre en ce début de Carême. C’est le Seigneur qui nous convertit. C’est son Esprit qui touche nos cœurs et les transforme. Le Carême est donc ce temps où nous nous exposons à l’Esprit, où nous l’accueillons, où nous sommes particulièrement attentifs au Seigneur qui veut demeurer en nous et faire de nous sa demeure.
Pour nous rendre plus disponibles à l’action de l’Esprit, l’Église nous propose pendant ce Carême trois moyens, traditionnels, c’est-à-dire qui ont été éprouvés, expérimentés par des générations de croyants : la prière, le jeûne et l’aumône.
La prière : la prière est ce temps du cœur à cœur avec Dieu, ce moment où on dit à Dieu qu’on l’aime, qu’on remet sa vie entre ses mains, que l’on se met à son écoute. Cela suppose que l’on prenne du temps pour Dieu, qu’on dégage pour lui certaines plages dans nos existences, qu’on les nourrisse de la méditation de l’Écriture. Je serais bien étonné que Dieu n’ait pas une parole pour nous, une parole qui retentisse tout spécialement dans notre vie. Soyons fidèles aussi à ces rendez-vous que Dieu nous donne dans l’Eucharistie. Profitons ce soir de la célébration du sacrement de Pénitence et de Réconciliation pour offrir notre vie au Seigneur, nous situer en vérité devant lui et repartir joyeux avec la force de son pardon. N’oublions pas que Jésus vient non pour les justes mais pour les pécheurs. C’est pour nous, pécheurs, que Jésus vient ce soir.
Le jeûne : au sens strict, le jeûne nous est demandé le Mercredi des Cendres et le Vendredi Saint et l’abstinence (le fait de ne pas manger de viande) tous les vendredis de Carême. Mais le jeûne est beaucoup plus que cela. C’est l’invitation à créer un vide dans le trop plein de nos vies, à dégager un espace pour Dieu et pour les autres, à prendre de la distance par rapport à tout ce qui entrave notre liberté (cf. ce que je disais plus haut). De quoi demandons-nous au Seigneur de nous libérer ? Des gens font des régimes pour perdre du poids et se sentir mieux avec eux-mêmes. Quel régime spirituel allons-nous mettre en œuvre pendant ce Carême, pour être plus libres et donc plus disponibles, plus accueillants à Dieu et aux autres ?
L’aumône : l’aumône n’est pas que le don de cette piécette à quelqu’un qui est en situation de précarité. Elle désigne tout ce qui est partage, attention aux autres, don de soi et solidarité. Comment, pendant ce Carême, puis-je grandir en fraternité, apprendre à devenir le prochain de l’autre ? A l’image du bon samaritain de la parabole évangélique, demandons à Dieu de nous donner l’œil qui sait voir, le cœur qui sait aimer, les mains qui se tendent et qui savent aider.
Frères et sœurs, nous allons recevoir les Cendres. Que cette procession soit pour nous l’occasion d’aller à la rencontre du Seigneur et de prendre avec lui la route qui conduit à Pâques ! Je vous laisse sur ces paroles de ce poète qu’était le Père Jean DEBRUYNNE, qui nous a quittés il y a quelques années : « Ce Jésus ne parle que de marche, il n’aligne pas les vérités, ne tient pas de catalogue, ne prend pas de décret. Il s’en tient au bâton, à la ceinture et aux sandales. Tout le reste est, pour lui, superflu ». Bonne route à tous. Amen.
+ Jean-Pierre cardinal Ricard
Archevêque de Bordeaux