“Aujourd’hui, le Seigneur passe par nous”
Chers frères et sœurs,
En appliquant à sa propre venue le texte du prophète Isaïe, Jésus se présente comme le Serviteur attendu, l’Envoyé de Dieu chargé d’annoncer à son peuple une Bonne nouvelle. « Cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Cette Bonne nouvelle, c’est celle de la puissance d’un salut qui est donné par Dieu : « Annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur ». En effet, quand le Règne de Dieu s’approche de l’homme, celui-ci est transformé. L’homme devient une créature nouvelle, cet « homme nouveau, dont parle Saint Paul, créé saint et juste dans la vérité ». Il y a quelque chose qui se passe dans l’homme quand il accueille cet amour transformant de Dieu. Cet amour réconforte et redonne confiance aux pauvres qui se sentent rejoints par Dieu ; il libère les prisonniers, et nous savons qu’il y a bien des formes d’emprisonnement et d’esclavage, à commencer par celui du péché. Saint Paul dira aux Galates : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » (Gal 5,1). Le Seigneur apporte également lumière aux aveugles. Il ouvre nos yeux et nous permet d’entrer, grâce à la lumière de l’Esprit, dans une juste compréhension du dessein de Dieu. L’accueil de Dieu dans nos vies, loin d’être ce carcan étouffant que craignent un certain nombre de nos contemporains est au contraire au service d’un plein déploiement de notre liberté et de notre personnalité. Dieu n’est pas oppressant. Au contraire, en Jésus Christ, qui est Celui qui a reçu l’Esprit du Père et en qui l’Esprit repose, l’homme se déstresse et n’est plus oppressé. La Bible dit d’ailleurs de l’homme inquiet ou angoissé qu’il a alors le souffle court. Au contraire, avec l’Esprit de Dieu, l’homme respire à pleins poumons, reprend souffle, est à l’aise avec le Seigneur, avec les autres et avec lui-même.
Cet Esprit, ce souffle vivifiant et dynamisant, le Christ ne le garde pas pour lui tout seul. Il en fait don à ses disciples. Il y a d’ailleurs dans l’évangile de Jean un passage étonnant qui nous le révèle. Nous voyons le Christ ressuscité retrouver les siens. Alors, nous dit Jean « il souffla sur eux et leur dit : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). Geste surprenant de Jésus, mais pourtant terriblement évocateur. Le souffle, c’est l’image de la vie, du dynamisme de vie. On dit de quelqu’un particulièrement énergique : il a du tonus, il a du souffle. Par contre, à propos de quelqu’un qui vient de mourir, on dira: il a rendu son dernier souffle. Jésus communique aux siens son souffle, sa vie, sa passion pour le Père et pour les hommes, son élan pour la mission, car juste avant son geste de souffler sur ses disciples, Jésus leur avait dit : « Comme le Père m’a envoyé à mon tour, je vous envoie » (Jn 20, 21). Le Christ, aujourd’hui, nous communique son esprit, son souffle. Par notre baptême et notre confirmation, nous avons reçu cette onction de l’Esprit qui nous fait vivre de la vie du Christ. En lui, nous pouvons dire à notre tour : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ».
Il nous est demandé d’accueillir, au jour le jour, cet Esprit du Ressuscité pour qu’il demeure en nous et nous transforme. Le Christ nous dit : « Voici que je suis à la porte et je frappe. Chez celui qui entend ma voix et qui m’ouvre, j’entrerai et nous mangerons en tête à tête, lui avec moi et moi avec lui. » (Ap. 3, 20). Accueillons cet Esprit du Seigneur. Qu’il nous fasse vivre comme le Christ, avec le Christ, ou mieux, comme dit Saint Paul, en Christ. Qu’il nous fasse entrer dans ce regard du Christ sur tous ceux et celles qu’il rencontre : un regard lucide, vécu en vérité, mais aussi un regard d’amour, de bienveillance, d’espérance en l’autre, de compassion, de miséricorde et de pardon. Dans son épître aux Ephésiens, Saint Paul nous dit : « Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Eph. 4, 32). Paul nous invite à un combat spirituel contre notre égoïsme, notre violence intérieure, notre difficulté à supporter les autres. Combien de fois, en paroles, nous réglons aux autres leur compte. Sous prétexte de parler franchement, nous nous complaisons à souligner leurs faiblesses et leurs défauts. Paul nous dit : « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche, mais s’il est besoin, dire une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent…Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté » (Eph. 4, 29, 31). C’est d’ailleurs moins en cherchant à nous transformer de manière un peu volontariste que nous pourrons vivre cette bienveillance qu’en nous approchant du cœur du Christ. C’est en contemplant le cœur transpercé du Christ, signe de son amour, de cet amour qui va jusqu’au bout, que notre cœur lui-même sera touché par le Christ. C’est l’Esprit qui transforme, au jour le jour, nos cœurs de pierre pour en faire des cœurs de chair, des cœurs capables d’aimer.
Mais, cet Esprit que nous recevons en nous fait de nous des apôtres et des témoins. C’est lui, le Maître intérieur, qui nous invite à « aller vers », à être porteurs de cette Bonne nouvelle d’un Dieu qui aime chacun. Nous aussi, nous devons nous dire : « L’Esprit du Seigneur m’a envoyé porter la Bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). Combien aujourd’hui sont dans cette situation de pauvreté matérielle, culturelle, affective et spirituelle. Combien d’hommes et de femmes portent en eux des blessures profondes et aspirent à être accueillis, écoutés, soignés et guéris. Dans son interview récent à des revues culturelles jésuites, le pape François compare l’Eglise à un grand hôpital de campagne : « Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas. L’Église s’est parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus important est la première annonce : “Jésus Christ t’a sauvé !” » (p.14). La catéchèse, le catéchuménat, l’accueil pour les sacrements, nos aumôneries scolaires et nos écoles catholiques nous mettent en contact avec cette foule d’enfants, de jeunes, d’hommes, de femmes, de familles. Chacun a son histoire, son itinéraire personnel, ses joies, ses souffrances, ses doutes et ses questions, comme ces disciples qui retournaient chez eux et avaient repris la route d’Emmaüs. Le Ressuscité va marcher avec eux, parler avec eux, les entendre raconter leur désarroi, les inviter à ouvrir les Ecritures et à se remettre devant le dessein de Dieu. Leur cœur va brûler et leur esprit s’ouvrir. Eh bien, aujourd’hui, le Seigneur passe par nous. C’est nous les membres de son Corps, qui sommes invités à lui prêter notre visage, notre voix, notre cœur et notre foi, pour que sa Parole puisse toucher les cœurs et raviver l’espérance. Il est important de servir le Seigneur pour que se révéle à tous ce visage du Père qui nous accueille, comme il l’a fait pour son fils prodigue, qui nous serre dans ses bras et nous embrasse. Que le Seigneur, par son Esprit, fasse de nous les missionnaires joyeux de son amour ! Amen.
† Jean-Pierre cardinal Ricard
Archevêque de Bordeaux