Affermis tes frères !
La renonciation de Benoît XVI au ministère pontifical et l’élection du pape François ont placé sous les projecteurs médiatiques du monde entier la personne du pape. Beaucoup ont scruté les chances de chaque “papabile” et ont attendu avec impatience la fumée blanche. Dès l’annonce de l’élection du cardinal Bergoglio a commencé la course des éditeurs pour publier ses écrits et faire paraître ses premières biographies. Mais, on s’est moins interrogé sur c e qu’est précisément le ministère du pape, la fonction de l’évêque de Rome dans l’Église catholique. Le ministère est pourtant plus important que la personne, même s’il est fortement marqué par la personnalité de celui qui l’exerce.
Contrairement à ce que certains pourraient croire, le pape n’est pas le curé du monde. Il n’est pas non plus le président-directeur général d’une multinationale dont les diocèses seraient les succursales. Certes, le pape nomme les évêques dans l’Église latine et confirme leur élection dans les Églises orientales, mais ceux-ci ne sont pas dans leur diocèse les vicaires du pape. Le concile Vatican II l’a réaffirmé dans la Constitution sur l’Église: “On ne doit pas les considérer comme les vicaires des Pontifes romains, car ils exercent un pouvoir qui leur est propre et, en toute vérité, sont pour les peuples qu’ils dirigent, des chefs” (n° 27). Alors, en quoi consiste exactement le ministère du pape ?
Le pape est tout d’abord évêque de Rome.
Le pape est tout d’abord évêque de Rome. Il est le pasteur de la ville du martyre des apôtres Pierre et Paul. Au début du 2e siècle, Ignace d’Antioche saluait l’Église de Rome comme celle qui “préside à la charité” et “qui a enseigné les autres”. Le pape est le successeur de Pierre à la tête de cette Église. D’ailleurs, dans les premiers mots qu’il a prononcés après son élection, le pape François s’est présenté justement comme l’évêque de Rome et a salué ses nouveaux diocésains. Ceuxci souhaitent un pasteur proche qui prend soin d’eux et les visite. Ils gardent un souvenir très vif de Jean-Paul II qui a voulu visiter chacune des quelques 300 paroisses de la ville de Rome. Mais comme successeur de Pierre, le pape reçoit également une par tie du ministère de l’apôtre, comme les évêques reçoivent une partie du ministère apostolique du collège des Apôtres dont ils sont les successeurs. Cer tes, il y a quelque chose d’intransmissible dans le ministère des Apôtres, c’est d’être les témoins privilégiés de la Résurrection, eux qui ont “mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts” (Ac 10, 41). Mais les Apôtres transmettent à leurs successeurs la charge de paître le peuple de Dieu qui leur est confié: “Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu, non par cupidité mais par dévouement” (1 Pi 5, 2). A Pierre, Jésus a dit: “Sois le pasteur de mes brebis” (Jn 21, 16).
Dans le Collège des Apôtres, Pierre est tout à la fois un des Apôtres et leur chef. Il n’est pas un homme seul. Il vit une profonde fraternité et solidarité avec ceux qui, comme lui, ont été appelés et envoyés par le Seigneur. Mais, il est chargé de veiller sur eux et de les soutenir dans la foi. Jésus n’a-t-il pas dit à Pierre: “Moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères” (Lc 22, 32) ? Tout le ministère de Pierre, et donc du pape, est contenu dans ces mots: il doit affermir ses frères.
Cet affermissement a une triple dimension:
Affermir dans la foi
Pierre est celui qui le premier, explicitement, confesse sa foi au Christ: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant” (Mt 16, 16). Jésus a prié pour que sa foi ne disparaisse pas, soit ferme, soit ce roc sur lequel il fonde son Église (Mt 16, 18). Il revient au pape, comme successeur de Pierre, de soutenir ses frères dans la foi, de veiller à la fidélité à la foi apostolique, de se prononcer avec autorité quand un discernement de la foi de l’Église est nécessaire (c’est en particulier ce charisme, qui s’exerce dans des conditions très précises, de l’infaillibilité pontificale).
Affermir dans la communion
Avec les évêques, le pape porte un souci tout spécial de la communion entre les Églises, ces Églises diocésaines répandues dans le monde entier. Il lui revient de les soutenir dans leur vitalité, dans les épreuves, comme le pape Benoît XVI l’a fait lors de son voyage au Liban en septembre 2012. Il a le devoir de les aider à trouver leur pleine personnalité et à s’insérer dans le concert de l’Église universelle. Chargé du bien de toute l’Église, le pape n’est p a s d o té d’une simple primauté d’honneur. Le Concile Vatican I lui a reconnu un pouvoir d’intervention et de décision direct dans la vie d’une Église locale, si la gravité de la situation le demande. À Pierre et à ses successeurs a été donné en effet le pouvoir de lier et de délier (cf. Mt 16, 19). Ce pouvoir, le pape a à le mettre au service de la communion et de l’unité. Le concile Vatican II a souligné l’importance du ministère de Pierre dans ce service de l’unité de l’Église: “Le pontife romain, comme successeur de Pierre, est le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles” (Constitution sur L’Église, n° 23). Le charisme de Pierre est vraiment un charisme de communion.
Affermir dans la mission
Lors de la fête de Pentecôte, après l’effusion de l’Esprit, Pierre est le premier à sortir de la maison où les Apôtres s’étaient retirés et à annoncer la Bonne Nouvelle du Christ Jésus sur la place publique. Il va affermir la première communauté chrétienne dans son ardeur missionnaire. Il revient au pape d’être un stimulateur de la mission. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le pape François dès le début de son pontificat en invitant l’Église à ne pas se replier sur elle-même mais à aller à la périphérie, là où sont les pauvres, les exclus, les malades et les pécheurs, pour leur annoncer ce message de vie qu’elle a reçu de son Seigneur. Certes, les formes d’exercice du ministère du pape ont changé au cours de l’histoire. Elles pourront changer encore. Le pape Jean-Paul II dans son Encyclique Ut unum sint invitait toutes les Églises chrétiennes à réfléchir à cette question. Il écrivait : “Que le Saint-Esprit nous donne sa lumière et qu’il éclaire tous les pasteurs et les théologiens de nos Églises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour qui soit reconnu par les uns et par les autres” (n° 95). Si les formes peuvent changer, le charisme du ministère de Pierre fait par tie de la structure même de l’Église. Il est le service des services. Le pape n’est-il pas, selon une très ancienne appellation, le “serviteur des serviteurs de Dieu” ?
† Jean-Pierre cardinal Ricard
Archevêque de Bordeaux
Évêque de Bazas