« Tenons ferme l’ancre de l’Espérance »
Entre ses deux grandes sœurs, la foi et la charité, c’est la petite sœur espérance… qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout. Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Charles Péguy
L’ancre de l’espérance.
Que souhaiter pour 2021, aux lecteurs d’ «Église Catholique en Gironde » ? L’espérance ! Dans notre vie, quand la tempête se déchaîne, que les vagues nous submergent, l’Espérance est comme une ancre qui stabilise le navire et l’empêche de dériver. « Nous avons cette espérance comme une ancre ferme et sûre pour l’âme » (He 6, 19). L’ancre de l’Espérance ! Les vieux marins la portent tatouée sur leurs bras ! Oui, je souhaite l’Espérance pour tous dans des temps d’incertitude !
« L’Espérance ne va pas de soi » (Charles Péguy)
Le poète l’écrivait en son temps : « L’Espérance ne va pas de soi…Le facile et la pente, c’est de désespérer, et c’est la grande tentation ». En effet, St Jean-Marie Vianney, Ste Thérèse de Lisieux en ont fait l’expérience à leur époque : il ne va pas de soi d’espérer. Dans ces temps d’incertitude comme au début de 2021, il ne va pas de soi d’espérer. « J’ai un emploi mais jusqu’à quand ? », me dit un jeune père de famille. « Que sera le monde d’après ? » s’interroge un étudiant. « L’histoire est en train de donner des signes de recul », nous écrit le Pape François et il cite la résurgence de conflits, les populismes et nationalismes, la fièvre consumériste. Non, l’Espérance ne va pas de soi ! Que faire ? Certains adoptent des postures qui génèrent la tristesse. La première consiste à penser que c’est la fatalité qui mène le monde, fatalité de l’échec, de la réussite, de la loi du plus fort : « C’est comme ça, on n’y peut rien ! » Une telle fatalité est contraire à la foi chrétienne ! D’autres pratiquent la politique de l’autruche : ne pas voir comme le riche avec Lazare ! C’est aussi la tendance à se replier et à cultiver la nostalgie ! Ou encore rêver, tomber ou retomber dans des addictions de toutes sortes ! Cela ne nourrit pas l’Espérance. Et pourtant, nous dit le poète, « entre ses deux grandes sœurs, la foi et la charité, c’est la petite sœur espérance… qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout. Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus » (Charles Péguy). Car l’Espérance chrétienne n’est pas un vague espoir humain. Elle va plus loin que tous les espoirs parce qu’elle est espérance de résurrection, de re-création. Et à cause de cela, elle peut demeurer même quand les épreuves s’accumulent, et quand les lendemains envisagés ne sont guère réjouissants. C’est cette espérance-là qui nous habite. Cette Espérance a un nom, un visage, c’est le Christ Jésus.
« Le Christ Jésus, notre espérance » ( 1Tm 1)
« La perte d’espérance est le signe de l’âme séparée de son Créateur et Seigneur », dit Saint Ignace de Loyola. Pendant plusieurs années, prêtre, j’ai vécu avec des séminaristes. Autour d’eux, on s’inquiétait : « Sais-tu ce que deviendra l’Eglise ? Ça ne t’affole pas ? ». Je me souviens de la lettre d’un futur prêtre : « ce que sera le ministère de prêtre demain, je ne sais pas ; mais je sais qu’« Il est fidèle Celui qui nous appelle » . C’est cela notre espérance. Elle est fondée sur notre confiance dans le Seigneur, l’assurance que sa Parole est solide. L’Espérance se nourrit de la lecture, de la méditation de l’Ecriture Sainte, et de la fréquentation des sacrements. C’est là que nous redécouvrons qui nous sommes. S’il y a beaucoup d’indifférence religieuse autour de nous, si la sécularisation de notre société française est massive, pour autant les questions existentielles de l’homme demeurent. Le cœur de l’homme reste le même avec ses questions sur la vie, l’amour, la mort, le sens de la vie. « On se demande si la vie a un sens. Puis on rencontre des êtres qui donnent un sens à la vie » (Brassaï) Les catéchumènes adultes du diocèse soulignent l’importance de témoins du Christ, un conjoint, des parents, des enfants, un collègue de travail... Nous sommes chrétiens, ou pour insister un peu, nous sommes « christiens », du Christ. À la suite du Christ, et par grâce, nous avons été « consacrés par l’onction » (Lc 4, 18), marqués par l’huile parfumée du baptême et de la confirmation. Non, un chrétien ne sent pas la sueur ! La sueur de ceux qui serrent les dents et qui se disent : on y arrivera, à la force de nos poignets ! Pour que les confirmands ne l’oublient pas, j’aimerais parfois laisser couler un peu plus l’huile, qu’elle dégouline sur la barbe des messieurs et le col du vêtement (cf Ps 132). Et ce don de Dieu est pour toujours. C’est le plus beau des dons ! La foi chrétienne nous ouvre les yeux sur les dons qui nous sont faits : la création est un cadeau ; la vie est un don, la foi est un don. Prenons le temps de respirer, de laisser une place dans notre vie à la contemplation, la louange, la gratuité pour « entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, [et] vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance » (Pape François). Pour être porteurs d’espérance, j’invite à cet esprit de louange, de reconnaissance, de gratitude. Savoir nous émerveiller !
« Bâtisseurs d’un nouveau lien social » (François).
Dans son encyclique « Fratelli tutti », le Pape François nous invite à être « bâtisseurs d’un nouveau lien social », il nous invite à entretenir l’amitié sociale. Car nous sommes tous frères ! La petite sœur Espérance donne la main et entraîne sa grande sœur, la charité déclinée en tant de mots : l’engagement pour la justice, la solidarité aux plus petits d’entre nous, le soin aux personnes malades, le souci d’éducation des petits d’hommes. Il y a là de beaux projets pour les diaconies de secteurs. Et puis trop de catholiques fréquentant les paroisses, s’ignorent encore les uns les autres. Les fraternités chrétiennes revêtent une actualité étonnante. Il nous faut promouvoir la « spiritualité de communion » c’est-à-dire « la capacité d’être attentif à son frère dans la foi, le considérant comme l’un des nôtres, pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde..» (Saint Jean-Paul II). Un philosophe français écrivait : « le véritable déconfinement consistera à nous redécouvrir frères ». Et, en servant les frères, nous vivons ce que rappelait le poète anglais, William Blake, souvent cité par le Cardinal Tauran bordelais : « J’ai cherché mon âme et je ne l’ai pas trouvée ; j’ai cherché Dieu, et je ne l’ai pas trouvé ; j’ai cherché mon frère et je les ai trouvés tous les trois ».
Au début de 2021, tenons ferme l’ancre de l’Espérance ! Elle nous entraîne à grandir dans la foi et la fraternité. Bonne année à tous !
+ Jean-Paul James
Archevêque de Bordeaux, Évêque de Bazas