il invite à devenir des « bâtisseurs d’un nouveau lien social » fondé sur la fraternité.
Début de l’automne 2020. Les couleurs rouges des feuilles de vigne s’effacent devant le gris, gris de l’incertitude sur la suite de la pandémie, de la situation économique qui hésite et parfois peine à repartir, gris sombre des conflits larvés dans tant de parties du monde. Pour ce monde, le Pape François exprime un vœu : Fratelli tutti, tous frères !
Tous frères ! Un bel idéal ? Une utopie de plus ? Avant d’évoquer son rêve pour notre monde, le Pape est sévère en le décrivant. Il n’est pas naïf ! Il parle d’un «monde fermé» rempli d’«ombres» préoccupantes. Pour lui, on a perdu le sens du « bien commun » comme visée de la vie politique et sociale : nations, responsables économiques et politiques, individus cherchent à promouvoir d’abord leurs propres intérêts, à renforcer leur sécurité, à améliorer leur confort personnel au détriment du bien de tous. Cela conduit à se désintéresser des autres, jusqu’à les mépriser, voire remettre en cause leur existence, notamment quand ils sont faibles. Le constat est rude, dérangeant. Mais c’est pour réveiller nos consciences endormies. Son texte a pour but de nous faire tous réfléchir sur ce que nous voulons pour notre humanité et à agir.
Cet édito sera disponible dès dimanche 18 octobre dans votre paroisse en version papier dans le journal Église Catholique en Gironde
« parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme… »
Le Pape François dénonce ce que ce monde a d’inhumain, de violent, de dégradant. Alors, il invite à devenir des « bâtisseurs d’un nouveau lien social » fondé sur la fraternité. A la manière des prophètes, le Pape secoue. Il invite à la conversion. Il s’appuie, pour cela, sur la parabole du Bon Samaritain et la commente. Il fait référence à beaucoup de personnes, pas toujours liées à notre tradition catholique, mais d’abord à celui dont il porte le prénom : François d’Assise, habité par la volonté de puissance, de prestige, dans la société marchande du moyen-âge, vit une conversion ; il est saisi par le Christ crucifié de Saint Damien, un Christ aux yeux ouverts sur le monde. Et, dans son testament, François fait le récit d’une rencontre qui va changer sa vie : « Le Seigneur me donna ainsi, à moi frère François, de commencer une vie nouvelle. Lorsque j’étais dans les péchés, il me semblait trop amer de voir les lépreux. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; et je les soignai de tout mon cœur ». Pour lui désormais, il ne s’agit plus d’éblouir, de dominer, mais d’être avec. François se fait proche, il vit en frère. Le Pape décline ce thème de la fraternité, en parcourant la vie politique et la gouvernance mondiale, les relations entre religions et l’aspiration à la paix, en évoquant le dialogue et l’amitié sociale. Il souligne aussi que « parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme… » (n°275) Vivre en frères s’appuie sur la reconnaissance d’un Père commun. Le Pape veut éclairer les consciences de tous pour un monde plus humain.
Cette encyclique est accueillie en France, dans un contexte social fragilisé ; la covid-19 a accéléré des écarts entre riches et pauvres ; des violences, des tensions traversent notre pays. Cette lettre est accueillie aussi à quelques semaines d’un nouveau débat au Sénat sur les questions bioéthiques. Un récent document du Conseil Permanent des évêques de France attire à nouveau notre attention sur les enjeux d’un tel débat, et son lien à la fraternité que le Pape nous invite à promouvoir. Certains considèrent le débat trop complexe pour s’y intéresser. Mais ils le retrouvent à l’occasion d’évènements familiaux : un couple souffre de ne pouvoir accueillir d'enfants. Un autre évoque une grossesse non désirée ou problématique. Dans une autre famille, la fin de vie d'un proche a été vécue douloureusement. Ailleurs, une personne soignante est affrontée à la pénurie de moyens pour accompagner des malades. On sait le caractère douloureux de ces situations. Mais, pour envisager des décisions, la seule émotion, le seul ressenti ne suffisent pas. Non pas seulement réagir, ressentir, mais réfléchir ! Il y a besoin de s’informer, de se former à plusieurs. Les fraternités chrétiennes sont précieuses dans ces moments-là. Pouvoir se parler, se laisser éclairer, prendre le temps de l’échange et de la réflexion
En leur exprimant ma gratitude, je les invite au témoignage, dans « la douceur et le respect » (1Pi 3, 16)
Plus largement, il est important de s’interroger sur le projet de loi en cours de discussion au parlement. Car il y a de nombreuses questions sur ces techniques biomédicales : ce qui est techniquement possible grâce au progrès scientifique, est-il moralement souhaitable ? Quels sont les enjeux essentiels de ces techniques nouvelles ? Quelle est la place de l'enfant dans le « droit à l'enfant » tant de fois revendiqué ? La personne humaine est-elle simplement sujet de droits ? Le législateur est-il là pour entériner simplement l'évolution des opinions ? Peut-on prendre des orientations en matière de santé publique, à partir des seules pressions financières ? Où en est-on du développement de la culture palliative recommandée par la loi française actuelle ?
Pour nous éclairer dans nos choix personnels, pour nous faire une opinion sur ces débats, suivant la capacité de chacun et sa disponibilité en temps, des articles, des ouvrages sont disponibles. Des dialogues sont possibles entre chrétiens sur ces sujets, dialogues éclairés par la réflexion de l’Église sur la personne humaine, sa dignité inaliénable. Et puis, des personnes catholiques sont engagées dans les professions de santé, participent à une aumônerie, sont membres d'institutions qui prennent soin des plus fragiles, vivent concrètement le respect dû à toute personne et la compassion, habitées par leur foi. En leur exprimant ma gratitude, je les invite au témoignage, dans « la douceur et le respect » (1Pi 3, 16). Mon expérience bien limitée dans l'accompagnement des personnes avec un handicap mental et de leurs familles, m'a fait découvrir, au milieu de beaucoup de souffrances, le rôle et la place majeurs de nos frères et sœurs les plus fragiles, pour nous humaniser et humaniser le monde. Sans doute, cela suppose personnels accompagnants, efforts financiers, soutiens des familles et des personnes. Mais quelle société voulons-nous pour aujourd'hui et demain ? Quelle place pour le plus faible d'entre-nous ?
Que l’invitation du Pape à la fraternité nous stimule !
+ Jean-Paul James