Le carême nous replace devant l’essentiel de la foi et de la vie chrétienne
Immeubles éventrés ou en feu, files de voitures fuyant le pays, visages apeurés et inquiets de réfugiés, bruit des bombes, morts ou blessés, cendres dans la ville et sur les routes, triste et dramatique réalité de la guerre en Ukraine pour ouvrir le carême. Au début du carême, nous recevons les cendres sur le front avec une parole : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Ces gestes liturgiques, ce carême auraient-ils quelque chose à voir avec les évènements du monde, la guerre en Ukraine, le drame du Liban, les divisions suscitées par la COVID dans nos communautés ou nos familles, les élections présidentielles en France, la vie de l’Église dans son parcours synodal et après le rapport de la CIASE ? Si ces gestes liturgiques n’avaient aucun rapport, nous trahirions notre foi. Il n’y a pas d’un côté les gestes de la liturgie et de l’autre, nos engagements et notre vie sociale, familiale ou professionnelle. Tout est lié ! Le carême nous replace devant l’essentiel de la foi et de la vie chrétienne.
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » : c’est la parole du Christ Jésus adressée à tous. Certains, en l’entendant, se disent : cette parole n’est pas pour moi ! Dans ma famille, nous sommes catholiques depuis des générations ! J’ai été baptisé tout petit ! Sans doute, les catéchumènes reçoivent la parole du Christ avec plus de force : ils se préparent à entrer dans la famille des chrétiens, par les trois sacrements de l’Initiation Chrétienne. Pour eux, il y aura un avant et un après Pâques 2022. Mais la parole du Christ est pour tous ! Alors, que veut-elle dire pour nous catholiques depuis de nombreuses années ? Certains parmi nous refusent de l’entendre : « Convertissez-vous ? Non, cette parole n’est pas pour moi ! Il faut me prendre comme je suis ! À mon âge, on ne change plus ! C’est mon avis, il ne changera pas ! » Nous en croisons des gens qui vous disent droit dans les yeux : « je ne bougerai pas ! C’est comme cela et pas autrement ! » Des gens figés, statiques, immobiles ! Convaincus qu’ils ont raison parfois contre tout le monde ! Refusant d’écouter d’autres qu’eux ! Drame de l’orgueil qui conduit à la destruction, à la mort, aux paysages de cendres. Les évènements du monde, hélas, en témoignent. Notre foi nous invite à une autre attitude : « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu » ( Mi 6, 8). Marcher avec ton Dieu, c’est-à-dire accepter d’avoir encore à découvrir de Lui, à changer, à accueillir, à me transformer, à m’ouvrir. Confronter mes opinions à celles des autres, ouvrir mon groupe à plus large que lui, écouter ! « Une Église synodale est une Église de l’écoute, avec la conscience qu’écouter est plus qu’entendre. C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre » (Pape François).
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile », convertissez-vous, c’est-à-dire croyez à l’Évangile ». Croire à l’Évangile, faire confiance à la Bonne Nouvelle ! Le Christ affronté au mal dans le désert, répond, à chaque tentation, par un verset de l’Ecriture. La Parole de Dieu, accueillie dans la prière, dans l’Eucharistie, à travers des frères rencontrés, est Lumière, Vie, Sagesse pour affronter le quotidien des jours, les drames du monde, les choix à faire dans la vie professionnelle, familiale ou sociale. Oui, nous sommes catholiques, pour beaucoup d’entre nous, par tradition, par culture. Et si ce carême nous aidait à devenir chrétiens, c’est-à-dire habités par la vie du Christ, la Parole du Christ, la confiance au Christ ressuscité qui nous révèle le Père et nous envoie l’Esprit-Saint ?
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Les catéchumènes prennent la phrase au sérieux et témoignent : « à cause de mon futur baptême, je me suis réconcilié avec un membre de ma famille ». Ou encore, « la foi chrétienne m’aide à trouver la paix », « j’ai grandi dans la confiance dans les autres et en moi ». « Je ne peux pas traiter mes clients de la même façon ». Et, plus que cela, il y a la joie de n’être plus seuls : « une communauté m’a accueilli » ; « nos accompagnateurs sont de vrais amis » ; « je veux me mettre au service ». Magnifiques expressions qui disent l’expérience réelle de chrétiens : la foi chrétienne change nos vies et nos rapports aux autres. À l’opposé des idées de complète autonomie des uns à l’égard des autres, les évènements dramatiques du monde et de l’Église mettent sous nos yeux, nos multiples dépendances : la guerre en Ukraine aura des conséquences aussi chez nous ; l’épidémie a montré ses effets négatifs sur nos parents âgés, sur les personnels de santé ; le rapport de la CIASE révèle, à cause de l’emprise, de l’autoritarisme, des violences de quelques-uns, les plaies dramatiques qui affectent le corps tout entier. Allons-nous nous satisfaire de ces dépendances qui répandent la tristesse et les souffrances ? Ou user de nos relations, de nos échanges, de nos groupes, de nos paroisses, pour qu’advienne le Royaume de Dieu, la « civilisation de l’Amour » (Paul VI) ? Quelle actualité alors, la parole du Christ : « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » ! En la prenant au sérieux, nous ferons la même expérience que les catéchumènes : nos vies changent, les communautés sont plus fraternelles. Le Peuple de Dieu tout entier, confiant en son Seigneur, devient peu à peu « un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2, 14). Et la démarche synodale avance : « au sein de l’Eglise, personne ne peut être « élevé » au-dessus des autres. Au contraire, il est nécessaire que chacun « s’abaisse » pour se mettre au service des frères tout au long du chemin » (Pape François).
Je conclus en citant Patrick Kechichian universitaire, dans son livre « petit éloge du christianisme » : « En me convertissant tout m'est apparu comme nouveau. Je pense avoir changé de regard. Oui, il y a un regard chrétien spécifique. Il est fait de beaucoup de choses difficiles à définir, à la fois très intérieures et très manifestes : l'absence de jugement, le refus de la violence, la bienveillance, le calme et la patience à l'égard d'autrui, le refus de l'agressivité, de l'arrogance, la lutte incessante contre l'orgueil et la volonté de ridiculiser, et puis la valeur accordée à la parole. Il y a une manière chrétienne de regarder les choses, les personnes, la nature, la beauté d'un corps, le sourire d'un enfant. La conversion m'a ouvert à la joie. Ma vie a un sens et ce sens ne vient pas de moi. Je suis entre les mains de Dieu, je vis, je pense, agis sous le regard de l'Esprit-Saint ».
Carême 2022, un carême nouveau, une parole toujours nouvelle pour notre joie : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».
Bon carême,
+Jean-Paul James