Quelle image nous habite quand nous pensons à la Toussaint ?

La ronde des saints, œuvre
de Fra Angelico, illustre notre foi en la communion des saints : en nommant les points de transformation, nous cherchons à être les uns et les autres, non pas des semeurs de zizanie, mais soucieux de faire grandir entre nous la communion fraternelle. Saint Vincent de Paul disait à ses compagnons : « la charité est la marque infaillible des vrais enfants de Dieu ».

Retrouvez l'éditorial de Mgr James, archevêque de Bordeaux pour le mois de novembre 2021.

Pour plusieurs de nos contemporains, cela n’évoque rien, sinon les vacances qui arrivent heureusement au milieu d’un long trimestre scolaire.

Pour d’autres, la fête de Toussaint évoque le cimetière : les tombes sont fleuries, les feuilles des arbres et de la vigne ont des teintes d'automne. C'est le temps du souvenir des défunts de nos familles. 

Pour nous catholiques, la fête est joyeuse, elle réveille un appel adressé à tous : l’appel à la sainteté. Fra Angelico, l’a représentée dans un tableau magnifique : la ronde des saints. Ceux-ci se donnent la main et dansent joyeusement. Ils sont rayonnants et pleins de vie ! Ils ont des visages lumineux !

Mais le contexte de l’Église catholique en France se prête-t-il à évoquer tout cela ? D’autres images nous hantent : les visages abîmés par la douleur des personnes victimes d’agressions sexuelles, les visages abattus, désabusés, en colère des membres de communautés prenant conscience de la gravité du mal commis dans l’Église. Faut-il oublier ces visages pour fêter la Toussaint ? Sûrement pas ! Nous allons célébrer la Toussaint en nous interrogeant : dans ce contexte de crise de l’Église, sidérés devant la face obscure de notre institution, que pouvons-nous espérer ? N’y a-t-il rien d’autre que le mal et la mort ? La Toussaint est une fête de l’Espérance, un encouragement à la conversion et à la fraternité.

Fra Angelico met en images ce que dit la première lecture de la fête : « Ils se tenaient devant le Trône et devant l’Agneau » (Ap7, 9). Les saints se tiennent devant le Seigneur, tout près de la source de la Lumière et de la vie.  Et leur visage s’illumine. Mais dans le contexte actuel, c’est si loin de ce que nous vivons ! C’est beau mais irréel, pensent certains. C’est oublier le chemin parcouru par ces saints lumineux : Marie Madeleine, Simon-Pierre, le bon larron, ou Charles de Foucauld plus proche de nous. Ni les uns, ni les autres ne sont des personnages inconsistants ou éthérés. A un moment ou l’autre de leur vie, ils ont pu connaitre une période sombre. Mais ils ont croisé à nouveau le regard lumineux du Seigneur. La sainteté consiste à s'approcher du Christ Jésus ou à se laisser approcher par Lui. Dieu n’a pas d’autre matière première que des pécheurs pour faire les saints. En bon artiste qu’il est, il sait y faire, mais pas sans nous. Le saint accueille le don de Dieu, s’en imprègne et répond au don de Dieu par les efforts de sa vie. En prêchant aux détenues de la prison de Cadillac, le bienheureux Jean-Joseph Lataste avait cette conviction. En visitant les personnes en prison, nous avons la même conviction aujourd’hui.

Mais encore ? La sainteté, qu'est-ce concrètement ? Le concile Vatican II nous dit : « c’est la perfection de la charité ». Dans notre région, Saint Vincent de Paul en est un exemple. Mais tant d’autres aussi ! Des membres de nos familles ou de nos voisins ! En pensant à eux, le Pape François écrit : « je vois la sainteté du Peuple de Dieu dans sa patience : une femme qui fait grandir ses enfants, un homme qui travaille pour apporter le pain à la maison, les malades, les vieux prêtres qui ont tant de blessures mais qui ont le sourire parce qu'ils ont servi le Seigneur, les sœurs qui travaillent tellement et qui vivent une sainteté cachée. C'est pour moi la sainteté commune. J'associe souvent la sainteté à la patience pas seulement en supportant le poids des évènements de la vie, mais aussi en vivant la constance, allant de l'avant jour après jour. C'est cela la sainteté de l’Église ». J’ajoute à la liste du Pape, le témoignage de foi de certaines personnes victimes d’agressions. Celles-ci nous encouragent dans la volonté d’agir pour le renouvellement de l’Église. Au-delà même de l’Église, l’appel à la sainteté nous rend aussi plus solidaires des joies, des espérances, et des souffrances de nos frères et sœurs en humanité. « Le versant éthique et social constitue une dimension absolument nécessaire du témoignage chrétien : on doit repousser toute tentation d’une spiritualité intimiste et individualiste, qui s’harmoniserait mal avec les exigences de la charité, pas plus qu’avec la « logique » de l’Incarnation » (St Jean-Paul II).

Fra Angelico a voulu représenter les saints, dans une attitude dynamique, se donnant la main, unis les uns aux autres, soucieux les uns des autres. J’y vois l’image de notre diocèse qui commence la démarche synodale voulue par le Pape François. Ce n’est pas un diocèse figé, statique, mais en chemin. Des assemblées paroissiales sont programmées dans plusieurs lieux, des fraternités de quartier ou des conseils de l’évêque se saisissent d’un élément du questionnaire romain. J’encourage toutes ces initiatives : bien sûr, une synthèse de ces rencontres va être adressée à Rome. Mais nous vivons ces initiatives en pensant aussi au diocèse, aux paroisses de Gironde : quelles joies y connaissons-nous ? Quelles difficultés ? Et quelles perspectives pour demain ?

Comme l’indique le document remis aux paroisses, par l’équipe diocésaine synodale animée par le Père Dagron, tous ces groupes qui vont partager se réunissent autour de la Parole de Dieu, désireux, comme les saints, d’accueillir l’Esprit de Sainteté.

Comme dans la ronde des saints, les membres des groupes sont unis les uns aux autres. Si chacune, chacun a le désir de parler, tous ont aussi le désir de s’écouter. Et si des changements sont à envisager et à nommer, il y a aussi à dire ce qui va bien. Étant tous en chemin, nous nommons d’abord pour nous-mêmes, le pas que nous avons à faire avant de considérer celui que les autres devraient faire.

La ronde des saints, œuvre de Fra Angelico, illustre notre foi en la communion des saints : en nommant les points de transformation, nous cherchons à être les uns et les autres, non pas des semeurs de zizanie, mais soucieux de faire grandir entre nous la communion fraternelle. Saint Vincent de Paul disait à ses compagnons : « la charité est la marque infaillible des vrais enfants de Dieu ». 

En cette fête de Toussaint, regardons ces saints lumineux, joyeux, vivants. Et laissons-nous entraîner dans leur ronde fraternelle.

 

                                                                                     +Jean-Paul James


[1]    Pape François, Discours du 17 Octobre 2015, pour le 50ème anniversaire du synode des évêques, DC n°2521, pp75

[2] « Pour une Église synodale : communion, participation, mission », document préparatoire, n°5

[3] Ibid, n°15

[4] Règle de Saint Benoit n° 30

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