"Le Seigneur, lui, n’est jamais en confinement"

Le Seigneur, lui, n’est jamais en confinement ; il vient chez nous sans problème, à condition que nous lui ouvrions la porte de notre cœur. Pas besoin de gestes barrière avec lui ! N’ayons pas peur : la seule « contamination » que nous risquons avec Jésus, c’est celle de l’amour, de l’espérance et de la vie.

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À l'occasion de ce Jeudi saint, 9 avril 2020, Mgr Jean-Marie Le Vert, évêque auxiliaire de Bordeaux adresse un message aux fidèles de l'Église catholique en Gironde.

JEUDI SAINT – MÉMOIRE DE L’INSTITUTION DE LA CÈNE

Frères et sœurs, en ce Jeudi Saint, nous commémorons l’institution de l’Eucharistie et du sacerdoce par Jésus. La première lecture de la messe raconte un événement qui a précédé de quelques heures la sortie d’Egypte du peuple hébreu. Il y est question du sacrifice d’un agneau et d’un repas pris à la hâte. Et cet épisode, qui est à l’origine de la Pâque juive, s’est déroulé dans des conditions dramatiques : la dernière des dix plaies d’Egypte, par lesquelles Yahvé avait obligé Pharaon à libérer le peuple d’Israël de son esclavage, est en train de se déroulée. Cette dixième plaie fut la plus terrible, puisque ce fut la mort de tous les premiers-nés de sexe masculin. Pour être protégés de cette mort qui allait frapper les maisons des Egyptiens, les fils d’Israël avaient aspergé le linteau des portes du sang de l’agneau sacrifié, selon les prescriptions du Seigneur. Et c’est dans cette nuit terrible que le peuple hébreu avait été chassé d’Egypte et en était sorti, après avoir pris rapidement un repas, avec du pain qui n’avait pas eu le temps de lever. Ce fut la première Pâque.

Ce sang de l’agneau répandu sur les portes fut le signe de la délivrance d’Israël. Et nous percevons bien que ce signe était une prophétie. En effet, près de 3500 ans plus tard, nous chrétiens, nous entendons ce récit en ayant présent à l’esprit l’offrande du nouvel Agneau pascal, du Serviteur souffrant : Jésus de Nazareth. Et nous comprenons que la prophétie est pleinement réalisée par la mort du Christ sur la Croix : son sang répandu sur la Croix est la victoire définitive remportée sur toutes les plaies qui font souffrir notre monde, et en particulier sur la mort. Et nous savons que cette victoire est acquise pour l’humanité entière, et pas seulement pour le peuple juif.

Et de même qu’en Egypte, en plus du signe du sang, il y a eu le signe du repas pris ensemble, de même le sang du Christ répandu sur la Croix a lui aussi été précédé d’un repas. Et de même que le repas du peuple hébreu est refait chaque année depuis la sortie d’Egypte pour que chaque juif se souvienne et d’une certaine façon participe à cet événement fondateur de la foi juive, de même le dernier repas du Christ avant sa mort, et qui est l’Eucharistie, nous permet aujourd’hui, 2000 ans plus tard, de participer et d’entrer pleinement dans le Salut que le Christ nous a donné par sa mort et sa résurrection.

En partageant le pain rompu et en donnant à boire la coupe prévue dans le rituel juif, Jésus rappelle bien sûr ce qui s’est passé en Egypte des siècles plus tôt ; mais en même temps, il pose les gestes et dit les paroles qui vont permettre à ses disciples de tous les temps de participer, de façon anticipée, aux événements qui surviendront les trois jours suivants : son sacrifice sur la Croix et sa Résurrection. Et depuis, comme les apôtres, en participant à l’Eucharistie, chaque homme peut recevoir les bienfaits de ce sang répandu au Calvaire, même si tous n’étaient pas présents au pied de la Croix. Voilà tout le sens du dernier repas que Jésus partage avec ses disciples la veille de sa Passion. Voilà pourquoi aujourd’hui, vivre la foi chrétienne se fait nécessairement en participant à l’Eucharistie. Ceux qui mangent ce pain et boivent à cette coupe sont pleinement plongés dans le sacrifice du Christ et dans sa mort, pour en ressurgir ressuscités avec lui.

Tout ceci peut prendre un sens particulier en ces jours de confinement où, à cause de la pandémie qui touche le monde entier, nous sommes confinés chez nous et que nous ne pouvons plus participer à la messe. C’est une souffrance pour beaucoup, y compris pour les prêtres qui ne peuvent la célébrer avec vous. Mais cela peut être aussi l’occasion de nous redemander quelle place l’Eucharistie a dans nos vies de chrétien, quel sens nous lui donnons. Heureux sommes-nous si cette privation nous redonne le goût et le désir de nos rassemblements dominicaux ! Heureux sommes-nous si nous découvrons qu’il n’est pas possible de s’en dispenser ou de n’y participer que ponctuellement ! Heureux sommes-nous si notre communauté paroissiale et la fraternité nous manquent ! Heureux sommes-nous si nous redécouvrons le sens du dimanche, qui n’est pas un jour comme les autres ! Demandons au Seigneur de creuser ces désirs en nous ! Puissions-nous ne jamais nous habituer à vivre sans la messe et sans la rencontre régulière de nos frères et sœurs chrétiens ! Car il est certain qu’un tel abandon provoquerait en nous une asphyxie spirituelle qui mettrait en péril notre vie de foi.

Le Seigneur, lui, n’est jamais en confinement ; il vient chez nous sans problème, à condition que nous lui ouvrions la porte de notre cœur. Pas besoin de gestes barrière avec lui ! N’ayons pas peur : la seule « contamination » que nous risquons avec Jésus, c’est celle de l’amour, de l’espérance et de la vie. D’une certaine façon, nous vivons actuellement quelque chose qui ressemble à la dixième plaie d’Egypte. L’épidémie planétaire du covid-19 sème la peur et la mort dans les peuples ; elle fait pousser de grandes plaintes à ceux qui sont malades, à ceux qui sont touchés par le deuil d’un de leurs proches, aux soignants qui se dépensent sans compter, à tous ceux qui assurent autant qu’ils le peuvent la bonne continuation de notre vie quotidienne. Nos moyens médicaux et techniques essaient de contrer ce fléau… Mais nous, chrétiens, pouvons-nous croire aussi que le Christ, notre Sauveur, peut intervenir et nous délivrer de cette plaie ? Non seulement en éliminant le virus, mais aussi en donnant le sens de ce que vit notre monde, en interprétant cet évènement terrible avec son regard, en nous donnant l’espérance. Jésus nous redit sans cesse qu’il est là pour nous sauver, à commencer par l’épidémie intérieure du péché, à laquelle nous ne faisons même plus attention, et contre laquelle nous ne prenons pas beaucoup de précautions. Pourtant, il existe un « médicament » radical contre elle : c’est la miséricorde de Dieu. Et plus qu’un médicament, c’est une grâce, un cadeau inouï… C’est le don de Dieu.

En ce jour où nous rendons grâce parce Jésus a inventé pour nous la messe, afin de se rendre présent à chacun de nous, par-delà le temps et l’espace, redoublons de prière pour nous-mêmes, et pour tous ceux qui sont aux prises, d’une manière ou d’une autre, avec l’épreuve qui nous atteint. Prions pour notre monde, spécialement au cours des liturgies domestiques que nous sommes invités à célébrer dans nos maisons durant ces jours saints.

La prière, ce cœur à cœur avec Dieu, c’est l’oxygène de notre vie. Elle est toujours possible, elle n’a pas besoin de moyens spéciaux, ni d’autorisation de sortie. Qu’elle soit au cœur de nos journées, pour toujours mieux découvrir que le Seigneur ne nous abandonne pas ! Qu’il nous fasse don de son amour, et que bientôt, de manière renouvelée, nous reprenions place à son festin. Amen.

+ Jean-Marie Le Vert

Évêque auxiliaire de Bordeaux

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