Une grâce pour notre temps : le discernement
La personne concernée fait l’expérience de la liberté qui surgit devant plusieurs possibles, c’est à elle qu’appartient toujours la réponse ou la décision.
Voici un mot qui depuis peu est sur toutes les lèvres dans les milieux ecclésiaux ! Sa racine latine signifie ‘séparer, distinguer’. Elle rejoint une première acception grecque, la seconde étant ‘examiner, estimer, soupeser, éprouver’. Pour les chrétiens, il s’agit d’un processus qui met sous le regard de l’Esprit Saint afin de prendre une bonne décision au service de la croissance humaine et spirituelle. Le Père Philippe Marxer, jésuite, situait récemment le critère ultime du discernement dans la croissance de la foi, l’espérance et la charité dans la conformité à l’Évangile et à l’enseignement de l’Église. Le recours au discernement vient notamment pour les grandes questions de la vie, par exemple quand on parle de familles ou de vocations. Il importe de ne pas se tromper face à un engagement, ou si l’on doit prendre une autre orientation, de le faire de la manière la plus ajustée possible. Ainsi, après avoir présenté quelques principes, ce sont ces deux aspects de familles et de vocations qui illustreront et enrichiront ce que l’on entend par le discernement.
UNE LONGUE TRADITION BIBLIQUE ET ECCLÉSIALE
Comme tout un chacun, la femme et l’homme de la Bible sont appelés à prendre des décisions importantes. La reine Ester va discerner le meilleur moyen pour sauver son peuple. Dans le nouveau testament, Jésus invite à un temps de réflexion pour savoir si l’on peut se lancer dans une grande entreprise : Celui qui veut construire une tour commence par s’asseoir pour calculer (Lc 14,28). Au cours de l’histoire, l’Église s’est dotée de méthodes pour aider à la décision. C’est saint Ignace de Loyola (1491-1556), fondateur des Jésuites, qui a déployé et donné de l’élan au discernement dans l’Église, par exemple dans les exercices spirituels.
Aujourd’hui, avec l’accélération de la vie, nous ressentons de plus en plus le besoin de ralentir pour retrouver un rythme plus proche de la nature (Laudato si’ 18). Celui qui veut discerner est appelé à se poser, seul dans sa chambre (Mt 6,6) ou bien soutenu par une communauté, par exemple dans un monastère.
Néanmoins à un moment ou à un autre, il est bon que la réflexion soit confrontée à une personne reconnue pour son jugement et en qui on a confiance. Elle aidera à relire les traces de l’Esprit dans sa vie. Ceci pourra se faire ponctuellement ou plus régulièrement, par exemple par la participation à un groupe d’Église de partage de vie ou par l’accompagnement spirituel. Celui ou celle qui accompagne se doit de recevoir une solide formation. La tradition chrétienne attache une importance fondamentale au for interne pour indiquer que l’on est dans le domaine de la conscience, de l’intime, du cœur, de l’âme, comme un sanctuaire où seul l’accompagnateur respectueux peut entrer. Celui-ci sait ce qu’il peut donner et ce qui revient à un spécialiste, par exemple pour un soutien psychologique.
DES REPÈRES POUR UNE DÉMARCHE DE DISCERNEMENT
Dans une situation confuse, la première tâche consiste à faire émerger la bonne question. Puis, il s’agit de découvrir ce qu’exprime l’Esprit dans sa vie. C’est un processus qui prend un certain temps, mais qu’il est bon de baliser dès le départ en se donnant des échéances. La personne concernée fait l’expérience de la liberté qui surgit devant plusieurs possibles, c’est à elle qu’appartient toujours la réponse ou la décision.
La Parole de Dieu dans la Bible et la Tradition de l’Église, traversées par le grand commandement de l’amour de Dieu et du prochain, apportent une ligne de conduite qui permettra d’orienter tant les questions que les décisions à prendre. Parmi les nombreux textes qui pourront être écoutés dans des situations de discernement, on peut citer notamment celui des Béatitudes (Mt 5, 3-12).
Sauf cas exceptionnel de danger, le surgissement d’une question ne stoppe pas la vie habituelle. Les chrétiens en situation de discernement ne sont pas dispensés de vivre pleinement dans leur état de vie les trois dimensions de leur baptême : prêtre, prophète et roi. La prière tant personnelle que communautaire est au cœur de la démarche, la formation et la mission annoncent le Christ, le service des frères et sœurs permettent de le rencontrer à travers les autres.
Parmi des questions ou critères qui aident au discernement, on pourra retenir :
Quelles sont les traces ou signes de l’Esprit dans ma vie et dans mes relations ?
Quels sont mes talents, mes goûts, mes désirs profonds ? Qu’expriment-ils de Dieu d’amour Créateur et Sauveur ?
Telle perspective provoque-t-elle en moi joie ou tristesse, paix ou angoisse, consolation ou désolation ?
Mon choix est-il fidèle à ma foi, sera-t-il utile aux autres ?
Si j’accepte ou refuse telle proposition, quelle espérance va s’ouvrir ?
Ce qui m’est proposé est-il un appel du Seigneur ou une simple alternative ?
Après l’élaboration de la question et le discernement lui-même, le choix et la décision restent des moments délicats. Au pied du mur, on peut être tenté de reculer. Il convient alors de bien prendre conscience de l’appel de Dieu. En outre, selon un bon principe un peu oublié aujourd’hui : ne pas décider conduit à laisser les circonstances le faire pour soi.
Ainsi, le discernement, dans toutes ses étapes, prend au sérieux les personnes, leurs permettant de faire la vérité et ainsi de venir à la lumière (Jn 3,21).
DISCERNEMENT ECCLÉSIAL AUTOUR D’AMORIS LÆTITIA
L’actualité ecclésiale témoigne de deux exemples liés au discernement à propos des états de vie. Le premier concerne la formation diocésaine suite à l’exhortation apostolique post-synodale sur l’amour dans la famille Amoris Lætitia. Cette formation a réuni les prêtres, diacres et membres de l’équipe de Pastorale familiale jeudi 26 janvier dernier, elle a permis de recevoir un enseignement sur le discernement et divers apports, ainsi que de partager sur les pratiques d’accompagnement. L’exhortation traite avec espérance du mariage chrétien et de la famille. Le chapitre huit est directement lié au sujet : ‘Accompagner, discerner et intégrer la fragilité’. Les questions liées au discernement y tiennent une place importante rappelant l’idéal complet du mariage et la logique de la miséricorde pastorale (Amoris Lætitia, 307).
Dans les différents apports, des principes canoniques ou de théologie morale (loi de gradualité) ont été repris. Des points d’attention ont été soulignés dans une situation de ‘deuxième union’ après un échec : irréversibilité de certaines situations liées au couple et aux enfants, participation à la vie chrétienne ordinaire, relation pacifiée avec l’ancien conjoint, ressenti de la communauté chrétienne… Ces éléments pourront aider dans l’accompagnement et le discernement.
VERS LE SYNODE “ LES JEUNES, LA FOI ET LE DISCERNEMENT DES VOCATIONS ”
Le second exemple est plutôt un chantier qui s’ouvre, celui du prochain Synode des évêques d’octobre 2018 ‘Les jeunes, la foi et le discernement des vocations’. Le terme de vocation est à prendre au sens large, le slogan pourrait être ‘Une vocation pour chaque jeune !’ Afin de préparer le document de travail, deux questionnaires sont proposés, l’un bientôt en ligne pour les jeunes, l’autre en cours de diffusion pour tous les diocèses. La lettre d’accompagnement de ce questionnaire présente toute une démarche de discernement. Il s’agit tant d’aider à faire fructifier ses talents (vie professionnelle, volontariat, service des plus petits, engagement politique…) que de répondre à l’appel des grands engagements de vie dans le mariage, le ministère ordonné, la vie consacrée.
Le discernement est centré sur trois étapes. Dans un premier mouvement, il s’agit de reconnaître ce qui est vécu sous le regard de la Parole de Dieu. Ensuite, l’Esprit aide à interpréter en mettant en valeur les dons. Enfin, arrive le moment délicat de choisir comme cela vient d’être mentionné. Il convient de sortir de la peur de se tromper en posant des choix libres et responsables.
L’ensemble des acteurs de la vie pastorale, particulièrement ceux qui sont en lien avec des enfants et des jeunes, sont invités à entrer dans la démarche qui permettra de participer ensemble à la préparation de ce Synode.
Ainsi loin d’une mode, le discernement est une belle manière de poursuivre le chemin à la suite du Christ en devenant toujours davantage disciple. Le Synode diocésain engage à être disciple missionnaire. La mission est certainement la finalité du discernement. Comme conclue le document préparatoire au prochain Synode romain à propos de la Vierge Marie : « Dans ses yeux, chaque jeune peut découvrir la beauté du discernement ; dans son cœur, il peut faire l’expérience de la tendresse et du courage, du témoignage et de la mission. » Par le discernement, les chrétiens répondent à l’appel du Christ. La joie de se savoir là où le Seigneur les a plantés, qui pourrait les empêcher de l’annoncer ?
+ Mgr Bertrand Lacombe
Évêque auxiliaire du diocèse de Bordeaux
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