Retrouvez l’édito de Mgr James pour le mois de mars 2025.
Lors d’un discours récent au Corps diplomatique, le pape François disait craindre « une troisième guerre mondiale par morceaux ». On sait les ravages que provoque la guerre en Ukraine ; on sait le cessez-le-feu précaire entre Israël et le Hamas et les paysages de désolation à Gaza ; il y a aussi le conflit terrible au Kivu (République démocratique du Congo) que les médias ici évoquent très peu. Et pourtant ! Quatre des prêtres du diocèse sont originaires de cette région ; ils sont impactés, dans leur famille, par ce drame aux dizaines de milliers de morts. La paix est très fragile. Les efforts diplomatiques sont importants. Il nous faut, aussi, prier pour les responsables des États et pour la paix. Violences, destructions, guerres sont hélas les conséquences du péché de la personne humaine, de la soif de puissance de certains, du désir de vengeance d’autres. Dans ce contexte si préoccupant, le carême de l’année jubilaire nous invite à nous tourner davantage vers « le Christ Jésus, notre Espérance » (1Tm 1,1). « En sa personne, il a tué la haine » (Eph 2, 16). Le mercredi des cendres, nous entendons un appel solennel de l’Apôtre : « Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20). Et cette réconciliation a pour fruits, la réconciliation des hommes entre eux, avec le cosmos tout entier et avec soi-même[1].
Des murs de haine s’érigent entre peuples, mais des murs d’indifférence tout autant. « S’installe une économie de l’exclusion et de la disparité sociale (…) On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette quand des personnes souffrent de faim : c’est la disparité sociale » écrivait le Pape [2]. À considérer pendant le carême ! À cela s’ajoutent les personnes plus vulnérables, en début ou en fin de vie dont on envisage parfois « l’élimination » du fait de leur coût social. Or, toute personne humaine a du prix. Des murs peuvent se dresser au sein même des communautés chrétiennes. C’est la grande tentation de l’entre-soi et de la diabolisation de l’autre … Or, le Christ est venu abattre les murs de méfiance, de séparation, de haine. À Sa suite, des communautés chrétiennes reçoivent le don et la tâche de promouvoir la réconciliation et l’amour fraternel. « Nous avons besoin de nous écouter les uns les autres et de nous compléter dans notre réception partielle de la réalité et de l’Évangile »[3]. Nous avons besoin de nous réconcilier avec Dieu et entre nous.
Lors du 4ème dimanche de carême, nous méditerons la parabole connue du Père et des deux fils, parabole dite de l’enfant prodigue. Ce Père attend, espère, désire la rencontre. En apercevant son fils cadet, « il courut se jeter à son cou ». Le Père ne dit pas : « c’est à lui de faire le premier pas ». Il court vers Lui, se moquant bien de paraitre ridicule en le faisant. Le bienheureux Jean Joseph Lataste de Cadillac disait aux prisonnières : « Dieu ne regarde pas ce que nous fûmes, il n’est touché que de ce que nous sommes » : cette phrase dit l’attitude du Père à l’égard du fils cadet. Pendant ce carême, je souhaite que chacun de nous fasse mémoire de la miséricorde de Dieu à son égard ; je souhaite que le sacrement de réconciliation et de pénitence soit célébré largement. Je suggère que, dans chaque doyenné si cela n’existe pas, il y ait une Journée du pardon. En quoi consiste-t-elle ? Dans une église du doyenné, pendant une journée donnée, des prêtres sont à la disposition de tous, pour célébrer ce sacrement. Cette célébration est un des actes majeurs du Jubilé. Et ce sacrement portera du fruit, celui d’un plus grand amour entre nous.
En effet, la parabole de l’enfant prodigue commence ainsi : « Un homme avait deux fils ». Et pourquoi deux ? Pour qu’ils puissent s’aimer entre eux, que ce soit l’amour des deux fils entre eux qui rende gloire au Père. On ne peut pas dissocier dans notre foi : enfants de Dieu et frères les uns des autres. Ce n’est pas seulement nos prières qui rendent gloire à Dieu, mais l’amour fraternel, c’est-à-dire nos liens tissés entre nous. Dans notre famille, notre paroisse, notre quartier, quel amour faire grandir ? Quelles réconciliations vivre ? Nous sommes parfois blessés de propos maladroits ou malveillants, de l’indifférence d’une personne aimée, d’une injustice commise. Le pardon commence par le refus de se venger. « Voulez-vous être heureux un instant ? Vengez-vous, disait Lacordaire, prédicateur dominicain. Voulez-vous être heureux toujours ? Pardonnez ». Il y a de fausses idées sur le pardon : Le pardon n’est pas l’excuse ; le pardon n’est pas l’oubli. Et en pardonnant, je ne renonce pas à l’application de la justice : le pardon vise la personne qui ne se réduit pas à l’acte mauvais qu’elle a posé ; l’acte mauvais demeure mauvais et s’il a lésé les droits d’une personne, l’offenseur doit réparer. Oui souvent, pardonner est un long et difficile chemin. Mais, en demandant pardon ou en donnant son pardon, l’Espérance renaît. Le pardon est « le moyen déposé dans nos cœurs pour atteindre la paix du cœur » (Pape François). Il passe par la prière et les sacrements.
Certains d’entre nous sont aussi meurtris dans leur chair, par des actes graves commis par un membre de la communauté chrétienne. Nous entendons tant d’horreurs, tout récemment encore autour de l’abbé Pierre et aussi de l’école de Bétharram. Des victimes sont marquées à vie. La demande de pardon de l’Église à leur égard, passe par leur accueil, leur écoute, la dénonciation des faits en justice, des actes concrets de reconnaissance de leur statut de victimes, et la prévention pour que cela ne se reproduise pas. Le diocèse de Bordeaux propose aux personnes concernées, l’équipe de veille composée de personnes compétentes en droit et en psychologie (voir les références « cellule d’écoute » sur le site du diocèse). Il demande aux personnes en relation avec des mineurs dans l’Église, de se former par exemple avec le module « StopAbus » du diocèse de Paris. La demande de pardon à l’égard des personnes victimes passe aussi par la prière. Le 3ème vendredi de carême, cette année le vendredi 28 mars, les paroisses sont invitées lors d’une eucharistie, d’un chemin de croix, ou d’un chapelet, à prier pour les personnes victimes. Un dossier est mis à leur disposition pour mettre en œuvre cette célébration.
Toutes ces démarches sont liées à notre foi au Christ qui, par sa mort sur la croix, a voulu nous réconcilier avec Dieu et entre nous. C’est Lui, le Christ notre Espérance. C’est Lui qui nous pousse à être pèlerins et signes d’Espérance, en célébrant et en vivant la réconciliation.
Bon carême
+Jean-Paul James
[1] cf Lettre de Paul aux Ephésiens 1 – 2
[2] Pape François, La Joie de l’Evangile, n° 53
[3] Ibid, n° 40, note n° 3