Querida Amazonia : « Une invitation audacieuse à poursuivre le chemin synodal. »
Cette Exhortation n’est pas présentée par François comme un acte juridique ou dogmatique, qui dirait voilà ce qu’il faut retenir ou non, mais bien comme un pas de plus dans la démarche synodale, pour aller ensemble plus loin.
Qu’attendiez-vous, avant sa publication, de cette Exhortation apostolique qui fait directement suite au Synode des évêques sur l’Amazonie et au document final adopté fin octobre ?
Elena Lasida : J’en attendais la confirmation d’un mouvement qui a inscrit ce Synode dans la continuité de Laudato Si. À partir d’une réalité très concrète, l’Exhortation apostolique « L’Amazonie bien aimée » nous donne des éléments pour penser, dans le monde entier, les rapports à nous-même, aux autres, à la nature et à Dieu.
François introduit cette exhortation de manière assez originale, en renvoyant à une lecture complète et à un travail d’approfondissement du document final voté lors du Synode des évêques. Comment interprétez-vous cela ?
Cela concrétise l’invitation déjà lancée par le Pape à lancer des processus plutôt qu’à posséder des espaces. Il ne vient pas graver dans le marbre quelques décisions concluant le Synode, mais il s’inscrit dans la suite de celui-ci, comme étant un chemin toujours ouvert. Cette Exhortation n’est pas présentée par François comme un acte juridique ou dogmatique, qui dirait voilà ce qu’il faut retenir ou non, mais bien comme un pas de plus dans la démarche synodale, pour aller ensemble plus loin.
La formule d’un « rêve » pour l’Amazonie, reprise tout au long de ce document, peut laisser songeur et sembler être un vœu pieux ?
La question de la crise écologique aujourd’hui est avant tout une crise de sens et de l’imaginaire de “la vie bonne”. Là où nous sommes emprisonnés dans une seule manière de voir ce qui nous fait vivre, il nous invite à imaginer autrement ce qui est porteur de vie. Il faut donc apprendre ou réapprendre à rêver, non pas pour s’échapper de la réalité, mais au contraire pour redéfinir ce qui est la source de notre vie.
François formule deux rêves « social » et « écologique », où il prend la défense des communautés indigènes et de leur mode de vie. En quoi cela peut-il changer les choses dans le combat que celles-ci mènent, sur place, pour leur survie et la défense de l’Amazonie ?
Le Pape montre bien à quel point le fait de protéger la terre et l’écosystème naturel de l’Amazonie est directement lié à l’écosystème humain. On ne peut pas séparer la vie des populations indigènes qui vivent dans cette région de la vie de toutes les autres créatures qui y vivent. Cette interdépendance entre le social et le naturel peut aider les populations sur place qui sont mises en danger aujourd’hui par des expulsions et des exploitations de toutes sortes. Elles peuvent s’appuyer sur ce texte pour mieux faire comprendre que la défense de leur vie, de leur dignité humaine rejoint la défense de la Création. La préservation de la forêt et des populations indigènes peut aussi être un moyen pour nous de retrouver les liens d’interdépendances avec la nature que nous avons perdus dans nos sociétés industrialisées et urbanisées.
Dans les chapitres sur les rêves « culturel » et « ecclésial », le pape souligne avec insistance le besoin d’inculturation de l’annonce de l’évangile mais aussi des formes ecclésiales et liturgiques. Cela concerne-t-il seulement l’Amazonie ?
Le pape est ici très courageux et nous invite à repenser le langage symbolique de nos expressions religieuses. Le fait de parler d’inculturation de la liturgie, en faisant référence aux symboles indigènes notamment, est une manière de nous rappeler que les symboles nous renvoient toujours à ce qui est plus grand que nous. Si nous limitons et focalisons notre intérêt sur un symbole en particulier, que l’on impose partout de manière unique, il peut alors devenir une idole, comme la Bible le raconte régulièrement...
Le Pape nous dit bien que l’importance n’est pas le symbole en soi mais comment celui-ci nous permet de rentrer en relation avec plus grand que soi. Le fait de pouvoir intégrer des symboles qui sont propres à la vie et à la culture de chaque peuple permet que cette relation transcendantale soit mieux vécue et davantage enracinée dans la vie de chacun. Cela vaut non seulement pour les populations indigènes mais aussi pour toutes les communautés chrétiennes, car nos rites, nos célébrations, nos liturgies usent encore de nos jours de symboles et d’un langage issus de sociétés qui sont très différentes de nos sociétés actuelles. Je crois que tout un langage de l’Église est aujourd’hui absolument incompréhensible pour le monde en général mais aussi pour beaucoup de chrétiens... Cette invitation à inculturer la liturgie est une invitation qui nous touche donc toutes et tous.
Dans son « rêve ecclésial », le pape François rappelle la prérogative réservée aux seuls prêtres de célébrer l’eucharistie et le sacrement de réconciliation. Est donc absente la proposition d’ordination sacerdotale de diacres mariés, votée lors du synode des évêques. de même, s’il reconnaît que « sans les femmes les communautés seraient tombées en lambeaux », il écarte l’idée d’une ordination diaconale pour les femmes, par crainte d’une cléricalisation de celles-ci. Comment comprenez-vous cela ?
Il y avait de nombreuses expectatives sur ces questions et beaucoup de gens peuvent être déçus parce que ces deux possibilités ne sont pas explicitement intégrées dans l’Exhortation apostolique. Personnellement, je le reçois au contraire non pas comme une manière de ne rien changer mais d’aller beaucoup plus loin que ce que nous attendions. Le Pape nous dit en effet que nous pouvons inventer des manières nouvelles de faire Église. Lorsqu’il invite ainsi à « penser une culture ecclésiale, nettement laïc », il indique que les laïcs peuvent avoir une place importante dans l’animation de la communauté, et que celle-ci ne se réduit pas uniquement à la présidence de l’Eucharistie. Pour les femmes, il parle de créer des services ecclésiaux pour les femmes, une manière de parler de ministères nouveaux, précisant qu’ils doivent faire l’objet d’une reconnaissance publique et d’un envoi de l’évêque. Ce sont donc bien des services ou ministères réellement institués.
La deuxième analyse concerne la mise en garde, par le Pape, d’une cléricalisation des diacres mariés ou des femmes. Nous pouvons être tentés de garder le système tel qu’il est, avec le pouvoir lié uniquement à l’ordination sacerdotale ou diaconale, et d’ouvrir simplement l’accès à ces ministères. Ce serait alors une manière de boucher les trous en cas d’absence de prêtres... Le Pape, au contraire, nous invite là encore à penser d’une toute autre manière les choses. Le pouvoir ne réside pas uniquement dans le prêtre, rappelle le pape, et si celui-ci à l’exclusivité dans la présidence de l’Eucharistie, ce n’est pas le cas pour l’organisation de la vie d’une communauté. François nous déplace, là où nous attendions un simple élargissement du système actuel il nous invite, de manière audacieuse, à inventer des manières nouvelles de penser les ministères et le pouvoir dans l’Église.