Paroles de soignants
Dr. Arnaud Decamps
Praticien hospitalier, neuro-gériatre à la retraite, mais ayant conservé une vacation sur le pôle de Gérontologie à l’hôpital Xavier-Arnozan , j’ai désiré me rendre utile dans la période de crise due au coronavirus et j'ai proposé de mettre mon expérience au service des patients les plus âgés. Mes pairs, soucieux de me protéger également du virus (du fait de mon âge), m'ont alors proposé un poste de coordination, avec distanciation, au sein de la plate-forme ville-hôpital Covid du CHU de Bordeaux crée pour les professionnels de santé.
Ma nouvelle activité consiste à évaluer la situation clinique du malade , selon les renseignements téléphoniques qui me sont fournis et à trouver la solution la meilleure pour chaque cas puis à indiquer la suite à donner.
Ainsi, en présence de signes de gravité, il est possible de demander une hospitalisation et régulation du Samu. Pour des cas moins graves, on peut en revanche envisager des soins adaptés curatifs et palliatifs sur place, à domicile, ou en institution. Il est aussi possible d’adresser l’équipe mobile de gériatrie et d’hygiène pour un dépistage en Ehpad (à l’intérieur de la CUB ) ou de conseils d’organisation pour les autres structures de la région.
Mes connaissances en gériatrie me permettent de conseiller les assistants internes et infirmières ayant reçu l'appel téléphonique. Sans être en contact direct avec les patients , ce qui pourrait sembler frustrant, j'ai la satisfaction d'être au cœur de l'action, même si je travaille dans l'ombre. Dans ce contexte l'humilité est de règle. Ce qui compte est de trouver une solution adaptée pour chaque cas et pour les institutions qui vont les accueillir.
Il s'agit pour moi d'une expérience nouvelle qui m'a amené à suivre un apprentissage technique (logiciel informatique) et m' a obligé à m'adapter à l'équipe multidisciplinaire.
J'ai beaucoup de plaisir à travailler avec une jeune génération de médecins et soignants enthousiastes et totalement dans l'esprit de service qui m'est cher. Nous avons des échanges et des partages enrichissants face à des situations très délicates( changements de lieux de soins et de vie , traitements) voire problèmes d'éthique.
En tant que Chrétien, face à des cas complexes, je m'appuie généralement sur certaines règles du discernement de St Ignace de Loyola qui préconise de "rassembler les informations, de porter les bons jugements sur les situations et sur les gens et d'agir de manière responsable et éthique" (rappel cité par le Père Brendan McManus, dans La crise du Covid, traduit par Pere V.Klein sj, sur le site jesuites.com)
« Nous constatons désormais divers signes de ce passage vers des actions responsables et des comportements de fraternité » constate Mgr Vincenzo Paglia, le 30 mars.
« La force de l’Esprit nous aide à aller de l’avant, » nous rappelle le Pape François, le 29 avril.
Renaud Dulin, diacre et pharmacien hospitalier.
Après des semaines bien agitées, la situation, bien qu’encore très fragile, semble à peu près sous contrôle dans notre hôpital, grâce à un déploiement d’énergie sans précédent de la part de nombreux acteurs. Ce déploiement d’énergie a rendu possible la très large réorganisation des services. Pour ma part, même si bien sûr tout n’est pas parfait, je peux témoigner d’une formidable coopération médecins/soignants/personnel de direction.
Nous allons maintenant entrer dans la semaine sainte d’une façon très étrange où nous allons devoir en même temps (!) rester mobilisés tout en nous abandonnant dans les bras ouverts du Seigneur. J’aime beaucoup ces paroles du Père Christian de Chergé qui écrivait à propos du Christ en croix: « c’est l’amour, et non les clous, qui le tenait fixé à ce gibet que nous lui avions taillé ». Dans notre prière, nous nous soutenons mutuellement les uns les autres et nous portons aussi tous les malades et toutes les personnes isolées, en particulier les résidents de nos EHPAD, si proches géographiquement mais si seuls en ce moment.
Bon courage à tous
Dr Guillaume Camuset
Je suis médecin en Médecine Interne à l’Hôpital de Libourne, en Gironde. Depuis plus d’un mois maintenant, mon service a été réquisitionné pour accueillir les patients suspects de COVID-19. Notre rôle est de confirmer les cas ou de diagnostiquer une autre pathologie puis de réorienter le patient dans un service spécifique.
Ma façon de travailler a changé car nous devons faire sortir plus rapidement les patients, et j’ai dû renoncer au suivi des patients pour me consacrer à cette nouvelle organisation. Il y a plus d’astreintes également, notamment les week-ends et jours fériés comme pour Pâques.
Finalement je vois des fruits dans cette période de crise comme la grande solidarité entre les soignants, le sentiment partagé de servir une même cause, même si la fatigue commence maintenant à se faire sentir.
Ma prière quotidienne m’a aidé pendant cette période, et j’ai senti que Dieu me soutenait chaque jour. D’autre part, j’ai ressenti que l’homme était vraiment le cœur de Sa création, et que tous les soins portés aux malades étaient des soins dont l’homme avait besoin dans cette période bouleversée. Cet élan de générosité se tourne directement vers la création de Dieu, l’Homme.
J’ai vu aussi la nature reprendre ses droits par instant, grâce à la réduction du trafic routier et aérien : des oiseaux qui tournoient tranquillement dans le ciel et qui chantent plus fort !
Cette crise aura donc des effets bénéfiques sur notre Terre !
Séverine, infirmière
Merci… merci de m’aider à cheminer dans cette étrange période car poser des mots sur le papier apaise et clarifie l’esprit. Infirmière en pneumologie, mon travail a été reformaté par des protocoles COVID où je n’avais plus d’automatismes, plus de zone de confort ..le stress est alors apparu.
Il y a ce patient amaigri, en suspicion COVID, en larmes qui « n’en peut plus de tout ça ». Je reste donc avec lui malgré la buée dans ces fichues lunettes où l’eau de javel a laissé des traces et cette blouse pire qu’un K-way en plein été me faisant transpirer.
Toute l’équipe attend…, attend l’arrivée de cette première vague…, une attente interminable.
Et puis survient avec émotion le soutien de la population avec des sandwichs, des pâtisseries, des pizzas et même dernièrement un couscous pour le premier jour du ramadan symbolisant le partage et l’Amour.
Alors les choses se compliquent, il faut organiser parallèlement la garde de mes trois enfants où Matthieu, trois ans, me demande s’il va à la crèche ? à l’école ? au centre aéré ? non ? il reste avec moi aujourd’hui car je suis de repos : il est rassuré mais complètement perdu !
Puis des coups de casseroles retentissent à 20h à la fenêtre de ma cuisine : ma voisine nous dit merci !! mon mari étant également infirmier… J’ai les larmes aux yeux, je pense à toutes ces personnes emportées par ce virus.
Aujourd’hui cette première vague du Nord de la France tant redoutée n’est pas arrivée dans l’ouest. Certains disent que c’est étrange… moi j’ai envie de crier haut et fort que c’est peut être un miracle de pâques porté par nos prières !
G., aide-soignante en service de médecine gériatrique
"Je suis aide-soignante en service de médecine gériatrique. C'est un service assez lourd et complexe surtout en ce moment, on vit une ambiance particulière... Les gens deviennent vite agressifs car ils sont privés de visite, ne sortent pas dans les couloirs... La pénibilité est présente tous les jours, mais la foi m'aide à surmonter toute cette violence et douleurs au quotidien."
L'équipe d’aumônerie de Bordeaux Sud
Depuis le début du confinement nous avons cherché à garder le lien avec les personnes âgées de l’EHPAD de Lormont et du centre de gériatrie de Xavier Arnozan. Nous avons pu, grâce au personnel, mettre en place des appels téléphoniques réguliers, et ainsi avoir des temps de prière avec ceux qui le souhaitent. A Xavier Arnozan nous faisons aussi, pour le bien-être des résidents isolées, de petites courses. C’est bien peu mais les résidents sont contents. « J’ai l’impression d’exister encore, d’être toujours dans la vie » nous a dit l’un d’eux. Nous avons le sentiment que les soignants sont plus proches de l’aumônerie, ils n’hésitent pas à faire appel à nous et savent nous remercier. Ce ne sont que de petites choses mais nous y voyons l’action du Seigneur et nous sommes confortés dans notre rôle de serviteur. En ces temps difficiles nous nous sentons encouragés dans notre mission d’aumônier. Oui, nous sommes bien à notre place.
Guillaume BOUCHER, directeur d’un EHPAD et d’un GIE de services support d’un groupe de cliniques.
En tant qu’acteur du système de santé, j’ai pu constater que l’épidémie de COVID a changé le rapport de nos concitoyens avec le système de santé. Le COVID a agi comme le révélateur que les hôpitaux, cliniques, maisons de retraites n’étaient pas des services comme les autres. Avant cette crise, on avait parfois le sentiment que les usagers venaient ‘consommer’ une sorte de ‘droit à la santé’ chez un ‘prestataire’. Aujourd’hui, notre travail semble considéré avec une meilleure estime et une plus grande bienveillance des patients, des résidents ou leurs proches, et de la société en général : on applaudit aux fenêtres, les commerçants épargnent le soir les files d’attente à ceux et celles qui ont été toute la journée en première ligne… Ces marques de considération et de reconnaissance, tous les acteurs soignants ou non les remarquent : ils ne les prennent pas pour un dû, mais bien comme une faveur, méritée. Personne ne prend la « grosse tête ».
Dans nos organisations aussi, le COVID a modifié nos fonctionnements. C'était quelque chose d'infiniment petit, et la Chine nous paraissait infiniment loin… Quand cette crise sanitaire est survenue, nous étions préparés à la gestion de crise mais, lorsqu’il a fallu adapter les plans à la réalité du terrain, personne ne s’est posé en mandarin, nous étions tous collègues. Il a fallu miser sur l’observation, les expériences passées ou extérieures, la créativité de chacun et le raisonnement logique pour s’adapter. A cette occasion, le décloisonnement des échanges entre acteurs, soignants ou non, a été essentiel, et rappelé cette évidence que la médecine, si elle est seule, ne peut finalement pas grand-chose. L’exemple le plus parlant a été la bataille pour fournir les moyens de protection adéquats aux soignants, ce qui a été le combat des acteurs logistique interne, des fournisseurs, des sous-traitants et des pouvoirs publics. De même, la gestion de l’hygiène repose non seulement sur les soignants, mais également et beaucoup sur les agents de service ou administratifs qui s’assurent des mesures barrières ; dans certaines situations, les ASH ou les agents d’accueil étaient finalement plus scrupuleux des nouvelles procédures et rappelaient, avec une ferme bienveillance, à tel ou tel (parfois médecin !), la conduite à tenir pour leur sécurité et celle de tous…
Enfin, notre plus grand défi était de maintenir le plus de professionnels en exercice et les redéployer. Si nos établissements de santé ou médico-sociaux ont continué de fonctionner et se sont adaptés en un temps record, c’est aussi parce que des hommes et des femmes ont répondu présent et c’est notre plus grande fierté. Pour les responsables comme pour les salariés il a fallu faire preuve de souplesse et d’agilité au jour le jour, voire plusieurs fois par jour. La volonté était là, et le soutien de la Communauté nationale et des Pouvoirs publics a été déterminant pour faciliter le travail (maintien des accueils pour les enfants etc.) ; les conjoints n’ont pas été en reste, surtout ceux pour qui la garde d’enfant n’avait rien d’un choix !
Cet épisode, toujours en cours, nous éprouve et, si nous avons fait face à l’adversité sans jamais compter, les conséquences sur nos ressources économiques et sociales restent à déterminer pour ne pas risquer qu’une nouvelle crise succède à la crise…
Il faut espérer que nos comportements futurs, notamment « hygiénistes », ne facilitent pas le retour de ce danger collectif. Redémarrer ne sera pas chose aisée, mais reconnaissons au moins le mérite au COVID d’avoir remis le collectif à l’honneur, et d’illustrer le proverbe « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».