Jésus pour les protestants
Pasteur dans une des églises protestantes de la Fédération protestante de France, Il me revient d’aborder ‘Jésus pour les chrétiens protestants’ ou plutôt, pour ‘Des chrétiens protestants, parmi d’autres’
Déclaration d’union de notre toute jeune église
En préambule, je vous lis le début de la déclaration d’union de notre toute jeune église : ‘en confessant la foi de l’Eglise universelle : ‘Jésus Christ est le seigneur » l’Eglise protestante unie de France se reconnaît comme l’un des visages de l’unique Eglise du Christ et participe à la mission d’annoncer l’Evangile au monde en paroles et en actes.’
Des protestants qui s’inscrivent donc en droite ligne dans l’affirmation de tous les chrétiens : Jésus-Christ est le Seigneur. Mais qui affirment aussitôt une pluralité acceptée et acceptable des formulations qui veulent rendre compte plus en détail de leur foi.
Le Jésus biblique, qui nous occupe ce soir, est directement concerné par des dogmes trinitaires et christologiques, reçus par l’église catholique romaine et qui veulent rendre compte de l’incarnation et du ministère de Jésus dans sa vie, mort et résurrection.
(formulés aux IV, V, XI° siècle, par des conciles (Nicée et Constantinople IVème siècle, Chalcédoine Vème siècle) et aussi par d’autres textes (e Symbole d’Athanase Vème siècle, le ‘pourquoi un Dieu homme’ d’Anselme de Cantorbéry, XIème). Avec eux, les notions de ‘Trinité, deux natures, expiation substitutive’ font presque partie intégrante et obligée de l’Evangile.
Dès sa naissance, le protestantisme récuse ce caractère obligé du dogme.
Nous n’avons rien contre l’élaboration théologique, mais de notre point de vue, elle n’est pas garante de maturité spirituelle qui conduirait à une vérité. Elle peut éclairer, mais tout autant altérer. Formulée et écrite dans une culture et dans une manière de dire et comprendre, particulières, la doctrine reste toujours relative, provisoire,
En 1538, Calvin refuse de signer les symboles de Nicée et d’Athanase. D’une part parce qu’il trouve que les mots employés, ne sont pas simples ni à la porté de tous. Mais le plus important c’est qu’il est attaché à « ne pas voir s’introduire dans l’Eglise cet exemple de tyrannie : que soit tenu pour hérétique quiconque n’aura pas répété les formules établies par un autre ».Ce qu’il n’a pas su pour sa part mettre totalement en pratique …
En 1521 Melanchthon, collaborateur de Luther : « Connaître Jésus-Christ veut dire expérimenter ses bienfaits et non pas savoir ce qu’on enseigne sur ses natures et le mode de l’incarnation »
Dans la seconde moitié du 16ème siècle, le fondateur des églises unitariennes de Transylvanie, Ferencz David, exprime son refus avec force : « vous me parlez toujours de substance, hypostase, de nature. Indiquez moi où se trouvent ces mots».
Pour Adolf Von Harnac, fin dix-neuvième, les conciles ont opéré une hellénisation de l’évangile. Ils altèrent la nature même de la foi : elle devient une doctrine métaphysique à accepter au lieu d’être vie en communion avec Dieu
Dans la première moitié du XXéme, la protestation libérale d’Albert Schweitzer, converge avec celle du piétisme pour qui la vie a plus d’importance que les doctrines : la foi évangélique ne consiste pas à adhérer à ces dogmes, mais à vivre dans et de l’esprit du Christ ; Elle se définit par l’attachement et l’obéissance pratiques à Jésus, plutôt que par des considérations théologiques sur sa nature »
Bref, vous l’avez compris, le protestantisme n’a pas de dogme, pas même à propos de Jésus. Il n’y a pas La Bonne Définition que le bon protestant se doit d’apprendre, comprendre, approuver, transmettre et vous donner à digérer ce soir.
Et la question ‘Jésus’, au sein même de la Fédération protestante, amène des formulations très diverses qui peuvent être comprises comme contradictoires entre elles et avec les fameux énoncés dogmatiques. Par exemple: Jésus fils de Dieu /ou Jésus Dieu /ou Jésus divin
Ou encore: La mort sur la croix paye notre dette envers Dieu / ou paye une rançon, au Diable, de qui nous sommes esclaves/ ou n’a rien de substitutif de cette manière là. Mais elle témoigne de la puissance du pardon et de l’amour de Dieu, qui en dépit d’elle et par elle, se réconcilie le monde dans un acte souverain.
Cette diversité, s’inscrit pleinement dans une manière de croire protestante.
Mais je vous rassure : même sans dogme, on ne peut pas dire n’importe quoi sur Jésus chez les protestants.
Je dirais volontiers qu’ils s’attachent moins à la sphère privée de Dieu, qu’à ce qu’Il nous donne à connaître par les textes bibliques.
Tout part de la lecture biblique.
Elle a pour règle de tenir compte du contexte, du co-texte et de l’éclairage interne.
Contexte : où, par qui et pour qui, pourquoi, quand a été écrit le texte
Co-texte : les passages avant et après
Eclairage interne : d’autres textes font écho, dans le même sens ou à contrario.
Tout cela peut donner lieu à des interprétations différentes et des affirmations différentes, sur l’identité et le ministère de Jésus. Dans sa lecture croyante, chacun reçoit pour lui ce qui est vrai. Il n’y a pas de foi de l’église, mais des croyants qui font église ensemble, avec cette diversité. Une diversité encadrée, il est vrai, par des principes fondamentaux, admis par tous comme expression de l’Evangile :
La grâce seule : c’est Dieu qui vient vers nous
La foi seule : pas d’oeuvres méritoires, pénitentiaires, expiatrices
L’écriture (la bible, canon hébraïque) seule référence en matière de foi
Sacerdoce universel : pas de clergé
Eglise toujours à réformer : nous ne détenons pas La vérité
Pour ‘A Dieu seul la gloire’.
Revenons à Jésus.
Je sépare volontairement le mot Jésus et le mot christ alors que souvent on parle sans faire de différence de : Jésus, Jésus-Christ et du Christ.
Mais il y a des noms propres, comme Calvin et Jésus, et des noms communs, comme réformateur ou christ. Je dis une chose quand je dis Calvin, une autre avec Calvin le réformateur. C’est pareil avec Jésus et Jésus le Christ.
Que lisent donc les protestants à propos de Jésus?
Rien d’autre que les autres lecteurs. Comme eux ils notent que :
Matthieu et Luc, attestent une naissance pas ordinaire, mais différente de celle de la mythologie antique. Pas d’accouplement entre un dieu et une humaine ou une déesse et un humain. Il y a acte de Dieu par l’Esprit, comme au commencement, qui aboutit à du neuf, du jamais vu.
La crucifixion de Jésus est posée, seule, comme ayant une portée unique, définitive, comme un coup d’arrêt radical à une tradition sacrificielle d’approche de Dieu.
Parmi les différents récits de résurrection, (fils des veuves, Lazare, ..), tous les écrits attestent, et seulement pour Jésus, une vie ressuscitée, autre qu’une simple réanimation du corps. Il vit d’une vie différente, libre de la mort, qui n’est autre que la séparation d’avec Dieu. Il n’est plus soumis ni au temps ni à l’espace.
Déjà, tout au long de son ministère, Jésus montre cette proximité étonnante avec Dieu, le père qui l’a envoyé. Certes avec des signes et des prodiges, mais surtout dans la vie la plus banale.
Il associe ce qui d’ordinaire nous est inconciliable : relation et solitude, raison et passion, richesse et pauvreté, sécurité et aventure, puissance et faiblesse, gloire et humilité, rigueur et miséricorde, justice et amour, destin et liberté…pardon sans complaisance…
Plus encore, les lecteurs notent qu’au final, dans les évangiles on parle de Jésus, on raconte Jésus, on vit avec lui, pour progressivement révéler qu’il est le christ.
Certes, il ne remplit pas le programme du messie tel que le comprenaient les courants dominants en Israël., mais il est le christ.
Paul, dans un contexte tout autre sur le plan personnel et communautaire (ex-persécuteur converti, persécutions, arrivée des grecs, menace de gnose), écrit d’emblée et réécrit ce qui fait ce cœur de la foi chrétienne :
Jésus, le nazaréen crucifié, est le christ, attendu.
Autrement dit : en lui Dieu se manifeste de manière indépassable, pour faire surgir du nouveau et ouvrir un avenir.
Dans son humanité, Jésus se révèle le christ, dans son comment être l’Homme, à l’image et ressemblance de Dieu, tourné vers lui, préoccupé d’abord du royaume et de sa justice, en recherche d’harmonie avec les autres et la création. Seul, il n’est pas déchiré, abîmé, par les contradictions et son propre péché.
Le protestant est très attaché à cette dimension.
Cette humanité, promise à la paix, n’est plus un projet de Dieu ou un rêve humain. En Jésus elle est advenue, elle est réalité. Avec lui, par lui, elle peut naître et se développer en nous. Ce que dit avec force et poésie le prologue de l’évangile de Jean. Et ce qui est essentiel, c’est cela et rien d’autre
Tout en acceptant le débat, dans le respect des différents positions, il est possible de dire : qu’importe au fond le comment de la grossesse de Marie, le pourquoi de la croix, l’inouï de la résurrection.
Quelques soient les interprétations, dans le cadre de nos principes, elles sont reconnues comme autant de fils de couleur pour tisser un arc en ciel de relations avec Dieu, par et avec son Christ, Jésus.
Relation : maître mot pour notre foi.
Souvent, vous l’avez entendu, dans le refus du dogme, la primauté revient à : la vie Avec, en communion, nécessité pour une mise en pratique selon la parole de Jésus,
Amour et pardon gratuit de Dieu, entrée actuelle par l’Esprit en vie nouvelle et éternelle alors aussi, vouloir et pouvoir, d’accomplir les bonnes oeuvres préparées d’avance… Cet enseignement et ces promesses, sont vécues, avec et en Jésus par le croyant, jamais divinisé, mais de plus en plus humain, image de Dieu.
Ce qui fera écrire à Alphonse Maillot dans son commentaire sur le credo : Confesser : ‘je crois en Jésus –Christ’ c’est dire : ‘je déclare vie commune’
Tous les protestants se retrouveront, je crois, dans cette déclaration de vie commune essentielle, qui relève de la foi et sans laquelle la foi n’est plus que croyance intellectuelle ou superstitieuse.
Pour tous, l’Homme désiré par Dieu, le médiateur entre eux et Dieu, le chef spirituel de l’église chrétienne ou de leur vie personnelle, c’est Jésus et nul autre humain ou institution.
Unique à être le christ par excellence, en totalité, de manière parfaite, Dieu qui s’approche,
Unique en son humanité à être image et ressemblance de Dieu, qui a pu en communion avec le Père, concilier ce qui chez nous tous, est source de division,
Unique véritablement ressuscité, vivant en éternité, en qui Dieu se réconcilie le monde à la croix et en qui notre confiance peut être pleine et entière, pour avancer sur le chemin de la vie,
C’est lui qui assure le pardon gratuit et définitif de Dieu, insuffle sa joie parfaite liée à l’amour qui vient de Dieu et la force de poser, même modestement, des signes d’une vie déjà ressuscitée.
Dans tout ce que j’ai pu lire, entendre, comprendre, pour moi il ressort que dans tous ses courants, le protestantisme souligne ce caractère unique.
Jésus Christ seul, est pour le croyant, son assurance, et son espérance, celle de devenir avec lui, toujours davantage ce qu’il est : enfant de Dieu
Lecture : Jn1,1-4 +11-14 + 1Ti2,5