Jésus pour les catholiques
1/ Jésus en son temps
Les récits évangéliques nous rapportent les manières très variées selon lesquelles Jésus a été perçu, d’après les clés d’interprétation dont disposaient ses contemporains ; et en même temps, ils font état de l’insuffisance de toute interprétation.
A/ Comment Jésus est-il perçu par ses contemporains ?
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Sans doute d’abord comme un prophète : celui qui parle au nom de Dieu et qui peut avoir un comportement étrange, voire choquant ;
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Comme un guérisseur, bien évidemment, vu la quantité de guérisons rapportées par les récits, ce qui induit qu’il a un pouvoir sur la nature ;et aussi un pouvoir sur le monde invisible, puisqu’il « chasse les esprits mauvais » ;
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Comme un maître qui enseigne (rabbi, en hébreu) mais avec une autorité particulière, à la différence des scribes, probablement enfermés dans le commentaire. Jésus ose dire : « On vous a dit… et moi je vous dis » (Mt 5,21). Il prend une position personnelle sur le sens de la Loi divine.
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Il est aussi perçu comme un ‘contestataire’, à la fois au plan religieux et au plan politique ; il est inclassable. Homme profondément religieux, il critique ce que sont devenues les institutions religieuses de son époque (le Temple), il veut les rendre à leur véritable sens. Mais l’essentiel de son activité se passe au-dehors, sur les routes, dans les villages, dans les maisons : au cœur de la vie ‘profane’, de la vie ordinaire.
B/ les traits les plus remarquables :
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Le côté ‘insaisissable’ de Jésus : on croit savoir qui il est, mais en même temps, sans cesse, se pose la question de sa véritable origine. Par exemple :
54. Il alla dans son pays, et il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle manière qu'ils étaient frappés d'étonnement et disaient : « D'où lui viennent cette sagesse et ces miracles ?
55. N'est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie, et ses frères : Jacques, Joseph, Simon et Jude ?56 Et ses soeurs ne sont-elles pas toutes chez nous ? Alors, d'où lui vient tout cela ? » (Mt 13)
13. Jésus était venu dans la région de Césarée-de-Philippe, et il demandait à ses disciples : « Le Fils de l'homme, qui est-il, d'après ce que disent les hommes ? »
14. Ils répondirent : « Pour les uns, il est Jean Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes. »
15. Jésus leur dit : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16)
Ce questionnement culmine lorsque Jésus prisonnier se trouve devant Pilate, le gouverneur romain ; celui-ci, inquiet de s’embarquer dans une mauvaise affaire, finit par lui dire : « D’où es-tu, toi ? » (Jn 19,9).
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Que dit-il de lui-même ?
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Le titre que Jésus emploie le plus souvent pour se désigner lui-même, à la 3° personne, c’est « le Fils de l’homme ». Il s’agit d’une figure biblique, annoncée chez le prophète Daniel dans des visions : un ‘fils d’homme’, càd un homme, mais descendant du ciel, ce qui est bien étonnant. Chez Daniel, cette figure est toujours glorieuse, c’est un signe de victoire. Mais Jésus dit que le Fils de l'Homme doit souffrir : nouveau paradoxe.
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A plusieurs reprises, Jésus s’identifie à la figure du « Serviteur » ; cette fois, c’est dans la 2° partie du livre du prophète Isaïe qu’on trouve l’annonce d’un « serviteur souffrant » qui rachètera les multitudes par l’offrande de sa vie.
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La vraie question que se posent ses contemporains, c’est celle du Messie : la promesse d’un Roi très saint, descendant de David, envoyé par Dieu, qui rendra à son peuple sa vraie dignité, tant au plan politique qu’au plan religieux ou spirituel. Beaucoup pensent que Jésus est le Messie, bien qu’il ne corresponde pas exactement aux critères de cette attente. Quant à lui, sans le nier, il interdit absolument à ses disciples d’en parler ; il n’acceptera ce titre qu’indirectement, au tout dernier moment, devant le Tribunal suprême d’Israël : « c’est toi qui le dis » (Mt 26,64 – Mc 14,62).
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Mais le plus important aux yeux des chrétiens, c’est le titre de Fils de Dieu : ce sont les disciples qui quelquefois formulent ce titre (Mt 16, 13-20) ; quant à Jésus lui-même, il se désigne quelquefois tout simplement comme « le Fils » (Mt 11, 25-27).
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Jésus déclare le pardon des péchés :
[deux cas vraiment explicites : le paralytique (Mc 2,7 et par Mt Lc) et la pécheresse chez Simon (Lc 7, 36-50) ; deux cas implicites : Zachée (Lc 19, 1-10) et la femme adultère(Jn 8, 1-11). Pardon aux bourreaux (Lc 23,34) et au malfaiteur (Lc 23, 43).]
Aux yeux des scribes présents, c’est tout simplement un blasphème : Dieu seul a le pouvoir de pardonner les péchés. Cela pose donc à nouveau, indirectement, la question de l’identité de J.
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Jésus appelle Dieu « son Père » et le prie en utilisant le terme affectueux « Abba » (Mc 14,36 et par). Or ceci est radicalement nouveau : jamais aucune prière juive ne se permet d’appeler Dieu « mon Père ».
2/ A partir de sa résurrection :
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Jésus est condamné à mort par le gouverneur romain, qui seul en a le pouvoir, mais à l’instigation des autorités religieuses du peuple juif. Sa mort sur la croix provoque, peut-on dire, la panique chez ses disciples, qui s’enfuient presque tous – mais surtout plus qu’une déception, une profonde désespérance :
19 Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth : cet homme était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple.20 Les chefs des prêtres et nos dirigeants l'ont livré, ils l'ont fait condamner à mort et ils l'ont crucifié.21 Et nous qui espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! (Lc 24)
Quant aux adversaires, ils y voient le jugement de Dieu : « Sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! » (Mt 27,40)
Au matin du premier jour de la semaine, le lendemain de la Pâque juive, les disciples découvrent que le tombeau est vide, les linges qui entouraient le corps rangés à part. Et Jésus se montre vivant à ses disciples ainsi qu’aux saintes femmes, à plusieurs reprises, et leur indique qu’une nouvelle histoire commence pour eux : il les envoie en mission. C’est l’irruption de l’inattendu de Dieu dans notre histoire.
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Alors commence un immense processus de développement, une prise de conscience progressive de l’amplitude de l’événement unique qui vient d’être vécu.
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Pendant sa vie terrestre, Jésus a souvent reproché aux disciples leur ‘inintelligence’, leur incapacité à comprendre en profondeur les événements qu’ils vivaient. Et les évangélistes soulignent aussi que sur le moment, les disciples ne saisissaient que partiellement ce dont ils étaient témoins (Jn 2,22). Mais Jésus leur avait promis l’envoi « d’un autre Défenseur », l’Esprit Saint de Dieu, l’Esprit d’amour, qui les aiderait à entrer « dans la vérité tout entière ».
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Et c’est ce qui commence à partir de la résurrection : une sorte d’immense ‘relecture’- relecture initiée par Jésus lui-même selon Luc (24,25-27) :
25 Il leur dit alors : « Vous n'avez donc pas compris ! Comme votre coeur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes !26 Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? »27 Et, en partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur expliqua, dans toute l'Écriture, ce qui le concernait.
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Relecture de la vie de Jésus
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Relecture des Ecritures juives, pour y déceler les annonces plus ou moins voilées de « celui qui devait venir »
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Tout cela au contact de la vie, de l’expérience des toutes premières communautés chrétiennes :
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Expérience de la mission et de la conversion des païens – alors qu’on attendait plutôt l’accueil de la foi nouvelle de la part des Juifs
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Expérience d’une nouvelle fraternité et solidarité entre croyants dispersés tout autour de la Méditerranée (dont un indice étonnant est la collecte pour les chrétiens de Jérusalem en grande difficulté, collecte à laquelle Paul attache une grande importance). Ce qui est à l’œuvre ici, c’est la conscience de former un même corps.
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Expérience aussi des changements de vie, des conversions concrètes vécues par les nouveaux chrétiens, profondément transformés par leur foi au Christ.
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C’est de ce ‘terreau’, si l’on peut dire, constitué à la fois de relecture de l’événement et d’expériences totalement nouvelles, que jailliront les expressions les plus fortes de la foi au Christ que l’on peut trouver dans le NT :
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Jésus est qualifié de Parole même de Dieu
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d’Image du Dieu invisible,
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de Resplendissement de sa gloire,
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Expression de son être
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de Seigneur, ce « Nom qui est au-dessus de tout nom »
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de Fils unique de Dieu
Ce qui aboutira plus tard aux affirmations de la confession de foi : « Il est Dieu, né de Dieu, lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non pas créé, consubstantiel au Père… »
3/ Jésus pour les chrétiens aujourd’hui
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Jésus le Christ est au centre de la vie du croyant. Un théologien a écrit : « Le christianisme, c’est l’amour de Jésus »
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Une parole de Paul exprime fortement cette réalité : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ! »
Dans son encyclique ‘Lumière de la foi’, le Pape François indique trois emplois du verbe ‘croire’ :
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Le chrétien croit A Jésus, càd qu’il lui fait confiance, qu’il adhère à son message ;
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Plus que cela : il croit AVEC Jésus, c'est-à-dire qu’il cherche à se mettre dan la même position que Jésus devant Dieu, à adopter le ‘point de vue’ de Jésus, la situation de Jésus, osons dire : la foi de Jésus ;
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Davantage encore, le chrétien croit EN Jésus, càd « qu’il l’accueille personnellement dans sa vie et s’en remet à lui, adhérant à lui dans l’amour et le suivant au long du chemin » (Lumen fidei §18)
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Cette recherche d’adhésion totale, de communion spirituelle avec Jésus est la véritable source de l’éthique chrétienne : elle consiste toute entière dans « l’imitation de Jésus Christ », selon le titre d’un célèbre ouvrage spirituel du Moyen Age.
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La vie chrétienne ‘à la suite de Jésus’ peut se résumer d’une manière très simple : il s’agit d’aimer Dieu et d’aimer le prochain. C’est ce que l’on demande aux parents lorsqu’ils présentent leur enfant au baptême :
« Vous demandez le baptême pour votre enfant. Vous devrez l’éduquer dans la foi, et lui apprendre à garder les commandements, pour qu’il aime Dieu et son prochain comme le Christ nous l’a enseigné. Etes-vous conscients de cela ? ».
C’est Jésus qui a dit : « Vous êtes tous frères, vous n’avez qu’un seul Père ». Jésus nous conduit vers Dieu notre Père et vers les hommes nos frères.
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C’est ce même sacrement, le baptême, qui nous rend participants de l’événement majeur de la vie du Christ : sa mort et sa résurrection, que nous appelons ‘le mystère pascal’. Au centre de toute liturgie chrétienne (le baptême, l’eucharistie, l’onction des malades…), il y a ce mystère de mort et de résurrection ; c’est lui qui éclaire tous les aspects de notre vie, c’est lui qui donne sens à la naissance et à la mort, aux réussites et aux échecs, à la souffrance et à la maladie, au don de soi pour servir et aimer les autres.
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Un dernier mot, enfin : nous croyons que le Christ est vivant, et qu’il nous fait vivre, mais nous cheminons encore dans l’histoire, avec ses obscurités et ses épreuves. Nous ne sommes pas encore au terme, dans la pleine lumière. C’est pourquoi, à chaque messe, nous disons :
« Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,
nous célébrons ta résurrection,
nous attendons ta venue dans la gloire ! »