Une fresque monumentale pour l’Apocalypse à Saint Emilion

Quelle est la genèse de cette œuvre ?

Père Emeric de Rozières, curé de Saint-Emilion : L’Apocalypse de Saint Émilion est une oeuvre commandée à François Peltier, artiste du Lot et Garonne. Elle est en trois réalisations : celle que vous avez devant vous correspond à l’esquisse n°2. Elle fait suite à l’esquisse n°1 qui a été exposée ici entre 2015 et 2018 et précède une hypothétique réalisation finale qui prendrait place à partir de l’été 2021, à même le mur de la galerie occidentale du cloître de la collégiale de Saint-Emilion.

Si l’on revient aux origines du projet, à l’été 2010, j’ai accueilli une exposition d’un disciple de François Peltier, Augustin Frison Roche, qui est venu nous présenter une illustration des Saints de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Il a alors appliqué la technique du glacis, apprise auprès de François Peltier, que l’on retrouve dans la peinture des primitifs flamands.

En 2011, j’ai accueilli l’artiste lot-et-garonnais qui a présenté le Déluge, toujours réalisé avec cette même technique. Je suis ensuite allé visiter son chef-d’œuvre : le chemin de croix de l’église de Bias en Lot-et-Garonne près de Villeneuve sur Lot. Je n’étais pas particulièrement convaincu jusqu’alors par ce que j’avais pu voir, mais en arrivant à Bias, j’ai été sidéré par la puissance de cette fresque. Aussitôt, devant les deux premières stations, avant même de faire le tour du chemin de croix, en découvrant qu’un artiste contemporain était capable d’exprimer le mystère avec autant de profondeur, je me suis dit : Il faut absolument que l’Église passe commande. Ne pas faire travailler les artistes, c’est finalement se priver d’une lecture de la Parole de Dieu qui complète le travail des exégètes. Le cardinal Ricard, en venant dévoiler l’œuvre au mois de décembre dernier, s’est appuyé sur le texte du pape Jean-Paul II aux artistes qui dit bien combien l’Église doit accueillir le charisme de l’artiste.

Pourquoi avoir choisi l’Apocalypse ?

Une fois la décision prise de commander une œuvre à François Peltier et le lieu trouvé, la galerie occidentale de la collégiale, restait à choisir le type de réalisation. Je ne me voyais pas commander un chemin de croix, l’artiste en ayant déjà fait un, ni l’illustration d’un évangile… Et puis tout à coup, m’est venue à l’esprit comme une évidence : l’Apocalypse. Ayant moi-même beaucoup de mal à lire ce livre, j’espérais, à travers la création d’un artiste, pouvoir redécouvrir et faire découvrir l’Apocalypse ! Le choix de ce texte est aussi guidé par l’espérance qu’apporte ce dernier livre de la Bible. La première béatitude ne dit-elle pas « Heureux celui qui lit, heureux ceux qui écoutent les paroles de la prophétie » ? C’est un livre qui apporte une béatitude dans ce monde marqué par la désespérance.

Comment s’est concrétisé ce projet d’un point de vue artistique ?

En demandant cette oeuvre à François Peltier, je voulais en effet que ce soit une œuvre gigantesque, de 40 mètres, inspirée par un texte ardu. Mais, même si je suis l’affectataire,  l’administration a son mot à dire pour placer une telle œuvre dans ce lieu qui est classé. J’ai donc demandé trois réalisations à l’artiste : deux fermes et définitives et une hypothétique. Les deux premières seront des esquisses, et l’hypothétique ce sera la réalisation finale en fresque sur le mur.

La proposition faite à François Peltier était la suivante : « Je vous commande deux esquisses afin que vous vous exprimiez et que l’on puisse, sur un jugement objectif, dire si oui ou non, cela peut donner lieu à une réalisation définitive. » La première esquisse, très sommaire, s’arrêtait au chapitre 16, l’artiste a pu ainsi entrer dans le texte, mais il menait parallèlement d’autres chantiers et je voyais bien qu’il avait dû mal à aller au bout de ce premier travail, qui semblait pourtant prometteur. Peinte sur des panneaux de bois, cette première œuvre a ensuite été vendue afin de financer la deuxième phase.

Pour la deuxième esquisse, je lui ai demandé de travailler à temps plein à ce projet. De juillet 2017 à décembre 2017, François Peltier a alors lu les exégèses, les théologiens, et bien sûr le récit de l’Apocalypse, sans toucher à un pinceau ni à un crayon. Il s’est mis à peindre en décembre 2017 et la fresque telle que vous la voyez aujourd’hui a été achevée et mise en place, sur un support en bois et en lin, en novembre 2018. Le 16 décembre 2018 la révélation de l’Apocalypse de Saint-Émilion a eu lieu en présence du cardinal Ricard et de Mgr Herbreteau, évêque du Lot-et-Garonne. Cette seconde version sera visible jusqu’au 31 juillet 2021, puis elle sera démontée et vendue à son tour. Enfin, si l’engouement autour de l’œuvre se confirme et si la DRAC nous donne son feu vert, François Peltier réalisera la fresque définitive à même le mur. 

Vous comptiez sur cette œuvre pour rédécouvrir le récit de l’Apocalypse. Six mois après son dévoilement, est-ce le cas ?

C’est véritablement une révélation pour beaucoup de personnes. Beaucoup, je crois, font la même expérience que moi lors de ma visite à Bias : un artiste contemporain capable d’exprimer le mystère. Devant la puissance des couleurs, la précision du trait, le dessin très contemporain, la réception de l’œuvre est unanime. Les avis étaient partagés avec l’esquisse n°1, les esthètes devinaient la puissance qu’il y avait chez l’artiste et les capacités qu’on pouvait percevoir à travers l’oeuvre, mais beaucoup n’étaient pas enchantés et étaient marqués négativement par les nombreux panneaux assez sombres.

Personnellement, je lis l’Apocalypse comme jamais je ne l’avais fait auparavant. Et je découvre que cette parole, la puissance de l’espérance qu’elle contient, nous imprègne et nous transforme. Pour mon plus grand émerveillement, certains jeunes paroissiens m’ont aussi confié que, depuis leur adolescence, ils lisaient l’Apocalypse quand ils avaient le moral dans les chaussettes. Ceux là se sont précipités pour voir l’oeuvre et ils y adhèrent pleinement. Ce que j’apprécie particulièrement dans l’oeuvre c’est d’y avoir intégré les Béatitudes présentes dans le récit de l’Apocalypse. On évoque toujours les Béatitudes de saint Matthieu, mais on ne parle pas suffisamment, je trouve, des autres béatitudes de l’écriture, en particulier le Psaume 118 qui n’est qu’une litanie de béatitudes. De l’Apocalypse nous connaissons tout de même celle que je citais plus haut « Heureux celui qui lit… » et celle que nous entendons tous les jours : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ».

Enfin, cette œuvre suscite désormais l’intérêt d’autres artistes.

En effet, nous avons des demandes pour associer des œuvres musicales à cette réalisation visuelle. Je pense en particulier à la cantate de l’Apocalypse, du P. André Gouze, qui se conjugue bien avec l’oeuvre. Plusieurs organistes ont également demandé à l’organiste de Saint-Émilion à pouvoir venir composer et jouer des créations sur l’Apocalypse en lien avec cette fresque.